Quand la curiosité d’une artiste rencontre celles de graphistes de talents, il se produit des étincelles qui donnent naissance à des ouvrages lumineux, comme Pietra di Luce, composé par Sabine Mirlesse et Les Graphiquants. Cet article est à retrouver dans notre dernier numéro.
L’histoire du livre de photographie est riche de créations sublimes et détonantes. Fruits des regards croisés d’auteurs et de graphistes manipulant les formes et les matières, leurs ouvrages nous font rêver plus loin, plus fort. Le premier opus de la nouvelle maison d’édition Quants consacré à Sabine Mirlesse, Pietra di Luce, appartient sans nul doute à cette famille d’exception. Plus qu’un livre de photographie, ce volume expérimental s’apparente davantage à un recueil de poésie, il en possède la secrète alchimie.
Sabine Mirlesse, artiste franco-américaine diplômée de littérature anglaise et de photographie, avait déjà publié, en 2013, As if it should have been a quarry (« Comme s’il s’agissait d’une carrière ») où elle avait braqué son regard sur la terre et ses empreintes. Avec Pietra di Luce, elle poursuit son exploration géologique au cœur des carrières de marbre des Alpes Apuanes, guidé par Dante Alighieri, le célèbre écrivain florentin. « Toute exploration des étoiles devrait commencer par le geste de regarder vers le ciel, vers le cosmos, avec un télescope. Or mes recherches ont plutôt commencé par un voyage dans la terre, armée d’une caméra et d’un poème », précise Sabine Mirlesse dans Stelle, le texte qui éclaire son travail. Stelle, « étoiles » en italien, fait référence au terme du poète transalpin qui vient clore chacune des trois parties de La Divine Comédie : l’Enfer, le Purgatoire, et le Paradis. Un mot qui trace une carte cosmogonique autant qu’une architecture poétique vers laquelle nous entraîne la photographe plasticienne. Stelle, un mot dans lequel on entend également « stèle », monolithe vertical, pierre dressée, colonne. Sabine Mirlesse plonge au cœur de la matière pour en extraire, avec ses photogrammes, ses sculptures, ses gravures en relief, ses dessins au graphite, ses monotypes à l’huile et ses photographies autant de pépites lumineuses, intrigantes et mystérieuses. « Passant en revue les formes minérales, les explosions de poussière, les nébuleuses en spirale aux fils de diamants et les fractures, le projet s’est transformé en une série de réflexions sur la recherche stellaire à travers le monde souterrain. (…) Un peu plus proche du cœur terrestre, j’ai trouvé une sorte d’éclat », poursuit Sabine Mirlesse.
Pousser les curseurs
C’est peut-être cette volonté à expérimenter, à forer le sol et à forcer les matières qui a décidé l’équipe de Quants à choisir Sabine Mirlesse comme auteure pour le premier opus de leur nouvelle maison d’édition. Il faut revenir un peu en arrière pour comprendre comment cette histoire a commencé. Quants est une émanation des Graphiquants, studio graphique né en 2008 du compagnonnage de deux étudiants de l’Ensad, Romain Rachlin et Maxime Tétard. Très vite, les deux complices amoureux d’aventures typographiques et assurant la direction artistique se sont adjoint les savoir-faire de Cyril Taïeb pour développer leur atelier de fabrication, et de François Dubois pour la partie gestion et développement. Parmi les travaux réalisés durant ces douze années, on compte de nombreux ouvrages de commande où l’équipe des Graphiquants a pu multiplier les expériences. On trouve aussi les superbes livres photo des éditions The M, fondées par Marie Sepchat en 2015, dont le studio graphique signe la plupart des conceptions et des productions. Et c’est sans doute ces réalisations qui leur ont donné « l’envie de travailler directement avec les artistes, d’être plus près d’eux pour aller plus loin. Quitte à avoir une maison d’édition, on a envie de se positionner en tant qu’auteur, au même niveau que l’artiste, et aller vers des choses plus radicales, en accord avec lui. Une manière de pousser les curseurs », précise Romain Rachlin.
Alors quand l’an dernier leur ami Matthieu Nicol, du studio Too Many Pictures, leur présente Sabine Mirlesse, dont le travail associe photographie et expérimentations plastiques, les planètes s’alignent et produisent, après beaucoup de discussions et de tests, un livre lumineux : Pietra di Luce. Edité en 200 exemplaires, le volume est décliné en trois versions : 150 éditions signées (85 €), 40 ouvrages accompagnés d’un tirage unique (250 €), et 10 éditions de luxe dans un coffret en marbre (1 100 €). On le trouve à Paris chez Artcurial, et dans les galeries Marian Goodman, Yvon Lambert, et bien sûr Thierry Bigaignon.
Il serait sans doute trop long de vous dévoiler toutes les finesses qui se font jour en feuilletant cet ouvrage : ses différentes qualités de papier, ses embossages, ses dégradés de couleur… ce serait vous priver du plaisir de la découverte. Il faut laisser la poésie se déployer progressivement au fil de la lecture des images, et vous entraîner vers des constellations inconnues, au cœur de la matière, vers l’infini et au-delà.
Pietra di Luce, Quants Éditions, 85 à 1100 euros, 132 p.
Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #41, en kiosque et disponible ici.
© Sabine Mirlesse