Fisheye: Pourquoi et comment es-tu devenue photographe ?
Joséphine Michel: Après des études de philosophie, j’ai ressenti la nécessité d’une exploration tout à la fois mentale et sensorielle, visuelle. Je me consacre ainsi à la photographie et rejoins l’ENSP d’Arles en 2002. S’ensuivent la publication d’un premier livre, Lude (éditions Filigranes,2007) puis un cycle de recherches au Royal College of Art à Londres, focalisé sur l’impact du son sur la photographie. Ces expériences donnent matière à la création d’Halfway to White, livre de photographies/CD réalisé en collaboration avec le musicien finlandais Mika Vainio et publié par le label britannique Touch en mai 2015.
Quelles sont tes influences ?
Les œuvres photographiques d’André Kertész, de Saul Leiter, de Lee Friedlander et de Luigi Ghirri m’accompagnent et me stimulent depuis les tous débuts. Plus spécifiquement, des travaux de photographes comme de musiciens ont eu un impact profond tout au long de la réalisation d’ Halfway to White : Theaters d’Hiroshi Sugimoto, la disparition progressive du visage de Roman Opalka à travers le blanc – son « blanc mérité », American Night de Paul Graham. White on White de Ligeti, la saturation du bruit blanc de Ryoji Ikeda dans “+/-“. Les textures sonores de Salvatore Sciarrino dans Esplorazione del Bianco, et bien sûr la qualité de lumière d’ Heijastuva de Mika Vainio.
Peux-tu expliquer comment s’est déroulée ta collaboration avec Mika Vainio ? Comment avez-vous fonctionné ? Est-ce que ce sont tes images qui ont inspiré ses compositions ou bien l’inverse ?
Ce fut un processus circulaire : certains de ses opus antérieurs ont inspiré les premières photographies d’Halfway to White, qui ont, quant à elles, servi d’amorces à la musique qui accompagne les images du livre/CD. Jon Wozencroft (co-directeur de Touch) a eu un rôle crucial en lui proposant l’une de mes photographies pour la couverture du CD Fe304-Magnetite. L’accord de Vainio m’a encouragée à lui écrire et à lui proposer une collaboration photographique et musicale à laquelle il a choisi de répondre par cinq pièces sonores.
C’est un peu étonnant cette démarche de chercher le bruit à travers l’image: qu’est-ce que tu as cherché à représenter à travers ce projet ?
Conventionnellement, le son peut être caractérisé par l’invisibilité, l’immatérialité et le flux, à l’opposé donc de la photographie, silencieuse, concrète et relevant du régime de la représentation. La tension majeure de ce travail se trouve donc entre le visuel – a priori distancié, observationnel – et le sonore – immersif, corporel.
J’ai ici cherché à sonder comment la photographie pouvait être infléchie, ou même structurée par les phénomènes acoustiques : vibrations, réverbérations, interférences. Je ne cherche pas tant une représentation métaphorique du son qu’à appréhender comment le champ sonore fait irruption dans une photographie, tentant ainsi de déjouer les clivages de l’observation et de l’immersion.
Qu’est-ce qui t’attire dans le blanc ?
Le blanc contient toutes les couleurs comme il peut engendrer toutes les sensations : chaleur ou froideur, pâleur ou éblouissement, apaisement ou inquiétude. Blanc de dissolution comme blanc d’émergence permettent une recherche sur la variabilité de la présence. De par son irrésolution, le blanc met en relief ce qui éclot quand la fonction représentative d’une photographie disparaît.
Paradoxalement, le blanc distille la couleur dans l’image, comme si elle était en quelque sorte décompressée par lui, mais dans un même mouvement elle est concentrée, apparaissant dans des zones plus étroites et distinctes de l’image. On pourrait comparer ce processus à la concentration du sel, révélé lorsque l’eau s’évapore.
“Halfway to white” est, à mes yeux, un projet photographique très audacieux: certaines critiques pourraient te reprocher d’avoir réalisé des “images ratées” parce que surexposées…
L’exposition fidèle, tout comme la mise au point précise, peuvent être des critères normatifs qui oblitèrent les potentialités de la photographie. Si la plupart des processus créatifs sont additifs, celui-ci commence et se clôt par la soustraction. Dans cet ensemble d’images, les informations attendues sont réduites par la surexposition : de nouvelles complexités de sens et de textures surviennent de par ce qui, en un sens, est simplification.
J’ai été très intéressée par ce qu’on pourrait nommer des « pré-sons » ou des « quasi-sons » dans certaines pièces de Vainio : ils créent une forme d’anticipation du son qui va suivre. De la même manière, je souhaite inviter ceux qui regardent ces photographies à retracer eux-mêmes des contours à partir des textures diffuses des images.