Le ciel se dégage lentement ce matin de janvier, et Philippe Guionie, à l’origine de la résidence 1+2, a le sourire : cette nuit les étoiles seront bien visibles. Au-delà d’une vision romantique, le directeur artistique qui a conçu et accompagne le projet au quotidien, sait que Diana a rendez-vous à l’observatoire de Jolimont pour cartographier le ciel de Toulouse, et les photos devraient pouvoir se faire sans problème. Mais pour l’instant Diana Lui, numéro un de la résidence, la plus expérimentée des trois photographes, nous reçoit avec ses deux complices : Alice Lévêque, 23 ans et Lea Patrix, 16 ans. Trois générations de femme embarquées dans une aventure inédite et qui vivent durant six semaines dans des appartements mitoyens.
Visage souriant encadré par une longue chevelure noire, Diana nous explique qu’elle a l’habitude d’enseigner la photographie et qu’elle fait aussi pas mal de résidences. Elle est alors focalisée sur ses stagiaires, ou sur son projet. Mais là c’est différent, car les deux activités se mélangent nuit et jour. Elle doit rester concentrée pour mener de front ses deux projets et assurer la transmission de son savoir. Se définissant elle-même comme une « déracinée permanente », Diana Lui est une artiste photographe et cinéaste d’origine chinoise née en Malaisie, qui a suivi des études d’arts plastiques en Californie, avant d’émigrer en Belgique, puis en France en 1998.
C’est sans doute pourquoi la question de l’identité est récurrente dans ses portraits et autoportraits, qu’elle réalise à la chambre 20×25 cm. Une chambre en bois du XIXe, assez légère, sur laquelle elle a adapté un objectif moderne, et qui est « comme une maison que j’emporte avec moi, qui me permet de m’enraciner dans le sol quand je réalise des portraits. » Des séances longues et intenses, toujours en lumière naturelle, où la question du costume – traditionnel ou imaginaire, ou de son absence dans le cas du nu – est toujours porteuse de sens.
« Une alchimie particulière qui me fait travailler jour et nuit sans relâche », Alice Lévêque.
La question du costume, Alice Lévêque se la pose également, mais d’un autre point de vue. Cette jeune photographe originaire de Mayotte a suivi le cursus de l’ETPA, la prestigieuse école toulousaine de photographie, en s’intéressant particulièrement à l’univers de la mode. Elle y a rencontré une styliste, Mélodie Giraud, avec laquelle elle a mis au point son projet photographique. Alice arpente la ville de jour avec un Polaroïd et repère les lieux des shootings à venir. Elle en profite pour faire un casting sauvage et distribue sa carte aux femmes qu’elle rencontre et qui accrochent son regard.
S’ensuit un rendez-vous, toujours au même café, où elle fait vraiment connaissance avec son futur modèle, ce qui lui permettra de trouver un lieu approprié et de penser à un costume élaboré par Mélodie, sa complice. « C’est une alchimie particulière qui me fait travailler jour et nuit sans relâche », précise Alice qui, dès que la nuit tombe, se polarise sur sa prise de vue d’une manière animale. Elle se déplace autour de son modèle comme un félin, s’approche jusqu’au contact, se pose au sol en équilibre instable, l’appareil tenu à une main, tout en dirigeant la séance avec énergie : « Regarde-moi ! Bouge plus vite ! Des gestes plus larges… » Alice conduit son modèle jusqu’à l’épuisement, provoquant ainsi une forme d’abandon où l’image espérée pourra advenir.
« On travaille, on discute, on danse, on rit, on pleure… »
Son modèle, Lea Patrix l’a trouvé elle aussi. La plus jeune des trois photographes, encore mineure, a décidé de suivre le parcours de Lena Boreux, mannequin de 19 ans, dans laquelle elle se projette et se reconnaît en partie. « Je me sens plus grande que mon âge », avoue Lea qui avec ses grands yeux sombres laisse transparaître une soif de voir insatiable. Née en Belgique dans un milieu familier des arts plastiques, Lea décide à 13 ans de suivre son premier workshop à Arles, attiré par l’intitulé « Le portrait à nu » de Diana Lui. Lea est certainement l’une des plus jeunes stagiaires des Rencontres. Et la rencontre vire au coup de foudre quand Diana, qui sait « sortir ses stagiaires de leur zone de confort et les déconstruire pour mieux les reconstruire », lui donne les moyens de progresser rapidement.
L’année d’après, la jeune photographe renouvelle l’expérience avec Diana qui ne cesse d’affirmer son credo : « Je me fous du résultat, c’est la transformation en vous qui est importante. » En 2015, c’est avec Philippe Guionie qu’elle poursuit sa formation. « C’est ce qui explique ce caractère d’évidence quand il s’est agi de composer le trio d’artistes en résidence », explique le directeur artistique. Et c’est aussi cette complicité que l’on perçoit quand les trois photographes déclarent en se complétant l’une l’autre : « On travaille, on discute, on danse, on rit, on pleure… »
Nous n’avons pu voir que quelques images des trois artistes, mais nous avons promis de ne rien dévoiler… On peut juste vous dire qu’elles sont prometteuses. Il faudra attendre cet été pour découvrir l’exposition, le livre et le film qui en résultent. Une trilogie très attendue dont les photographies construiront une collection au fil du temps. Ces regards croisés sur le patrimoine matériel et immatériel de Toulouse s’inscrivent dans une démarche documentaire au sens large du terme et dans une vocation européenne.
Les photographes embarqués dans cette aventure reçoivent chacun une dotation importante en plus de leur prise en charge au cours des six semaines. Ils sont également accompagnés avec bienveillance par une équipe de bénévoles, sous la direction de Philippe Guionie, qui a aussi pour mission de boucler un budget associant partenaires publics et privés. Il revendique le caractère transversal du 1+2 invitant de jeunes créateurs à poser leurs regards sensibles et créatifs sur les coulisses de cette résidence atypique. En ce sens aussi, la résidence 1+2 propose une formule inédite dont le résultat reste à venir. Une multiplication de talents dont la preuve par trois demeure la clé.
Image d’ouverture : © Philippe Guionie