« 36 poses » ou le jeu de la contrainte créative par Stephen Dock

« 36 poses » ou le jeu de la contrainte créative par Stephen Dock

Stephen Dock nous ouvre les portes de la Maison d’arrêt de Mulhouse, désormais fermée. Dans son livre-concept 36, le photographe nous offre une subtile réflexion sur la contrainte et invite à faire tomber les murs.

« Depuis toujours je lutte contre la moindre entrave à ma liberté de penser ou d’agir. Cette posture perpétuelle qui consiste à refuser toute contrainte me définit pleinement. Ma photographie aussi. Être enfermé, pour je ne sais combien de temps, c’est ce qui pourrait m’arriver de pire. Enfin c’est comme le confinement, on finit par s’habituer…». En 2021, Stephen Dock pousse les portes du centre pénitentiaire de Mulhouse. C’est la première fois qu’il se rend dans une prison. « Elle était en train de fermer. Cela faisait un moment que je pensais à faire des photos en milieu carcéral, explique-t-il. C’est un classique dans la carrière d’un photographe ». Un sujet prisé des faiseurs d’images, sans doute trop. « Nombreux ont échoué. Aux cours de mes recherches, je me suis arrêté sur le travail de Mathieu Pernot. Il détient le corpus le plus complet sur la thématique. Tout ne m’impressionne pas, mais sa série Les Hurleurs donne une cohérence à l’ensemble. Il s’agit d’un pas de côté tellement fort. Il y a l’œuvre de Raymond Depardon réalisée au sein d’un asile psychiatrique aussi, San Clemente ».

Mais Stephen Dock a choisi de privilégier la structure à l’humain. Dans son projet intitulé 36, pas de détenu, ni gardiens, seulement des failles et des traces…  « J’étais fasciné par cette architecture dite coercitive. La prison retient des corps en même qu’elle protège ». Et puis il y a cette fascination pour les murs. Une obsession survenue lors de son travail sur l’Irlande du Nord. « Le mur était un symbole puissant dans le système de violences structurelles là-bas, précise-t-il. Je suis attiré par la matière : les murs retiennent les traces du temps, et de l’homme. Ils sont un support de revendications. Ils façonnent nos modes de vie – habitats, et autre délimitations d’espaces privés – et dictent nos déplacements dans l’espace urbain. Les murs sont tellement présents, qu’on ne les regarde plus. »

Cadrer la pensée et maintenir un ordre social figé

Durant toute une pellicule, Stephen Dock s’enferme dans les promenades individuelles et shoote. De manière compulsive. « J’ai identifié ces espaces de béton de 9m3 comme étant les plus contraignants, les plus angoissants. Ils sont les plus forts, visuellement. Je me suis obligé à travailler en vertical uniquement. » Il longe les murs, porte son regard d’un angle à un autre, regarde les inscriptions, s’avance, puis recule, bref, ses yeux « ricochent de détail en détail » et les images du livre s’enchainent en même temps qu’il tourne dans l’espace. Un lieu, et 36 vues. « J’ai voulu le (l’espace, NDLR) contenir comme il m’a contenu », précise-t-il. « On verra si le lieu est plus fort que toi ?! », lui avait lancé Julie Héraut (Responsable Exposition et Recherche au BAL) aux prémices. Avec ce livre-concept, ce geste radical, la photographie et l’espace clos ne font qu’un. Il n’est plus question de contrôle, mais d’équilibre, et le lecteur se prend lui aussi de passion pour les murs. « Je ne suis pas détenu ». Stephen Dock insiste à plusieurs reprises sur ce point. La contrainte ? C’est lui et lui seul qui se l’impose. « Je suis efficace sous la contrainte. La contrainte est un moteur. La contrainte est créatrice », affirme-t-il. En faisant défiler les 36 verticales, chacun voit le mur qui obscurci son champ de visions. « Ces murs photographiés, avec de la distance, ils me renvoient à d’autres, invisibles et plus immuables encore. Érigés par notre société contemporaine, ils cadrent la pensée et maintiennent un ordre social figé », conclut l’auteur. Et si Stephen Dock est convaincu que le 8e art ne détruit pas les murs, il ne sait sans doute pas à quel point ses images ouvrent plusieurs espaces de réflexion…

 

36, Médiapop Éditions, 15€, 52p.

© Stephen Doch© Stephen Doch
© Stephen Doch© Stephen Doch

© Stephen Doch

© Stephen Doch© Stephen Doch
© Stephen Doch© Stephen Doch

© Stephen Dock

Explorez
Guénaëlle de Carbonnières : creuser dans les archives
© Guénaëlle de Carbonnières
Guénaëlle de Carbonnières : creuser dans les archives
À la suite d’une résidence aux Arts décoratifs, Guénaëlle de Carbonnières a imaginé Dans le creux des images. Présentée jusqu’au...
11 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les coups de cœur #568 : Bastien Bilheux et Thao-Ly
© Bastien Bilheux
Les coups de cœur #568 : Bastien Bilheux et Thao-Ly
Bastien Bilheux et Thao-Ly, nos coups de cœur de la semaine, vous plongent dans deux récits différents qui ont en commun un aspect...
08 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Dörte Eißfeldt, lauréate du prix Viviane Esders 2025
© Dörte Eißfeldt
Dörte Eißfeldt, lauréate du prix Viviane Esders 2025
Dörte Eißfeldt reçoit le prix Viviane Esders 2025 pour une œuvre qui repousse les frontières du médium, alliant rigueur conceptuelle et...
06 décembre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Bellissima : la fabrique des apparences par Carla Rossi
© Carla Rossi
Bellissima : la fabrique des apparences par Carla Rossi
Dans son ouvrage Bellissima, publié par Art Paper Editions, Carla Rossi explore les désirs, les façades et les codes qui façonnent la...
03 décembre 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
Nos derniers articles
Voir tous les articles
4 livres photo, signés Fisheye Éditions, à (s’)offrir à Noël
© Boby
4 livres photo, signés Fisheye Éditions, à (s’)offrir à Noël
Offrir un ouvrage à Noël est toujours une belle manière d’ouvrir des portes sur de nouveaux univers. À cet effet, nous avons...
À l'instant   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Bernard Plossu : Naples à hauteur d'âme
© Bernard Plossu
Bernard Plossu : Naples à hauteur d’âme
Présentée à la galerie Territoires Partagés jusqu'au 31 janvier 2026, Les Napolitains de Bernard Plossu marque un tournant dans le...
11 décembre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Guénaëlle de Carbonnières : creuser dans les archives
© Guénaëlle de Carbonnières
Guénaëlle de Carbonnières : creuser dans les archives
À la suite d’une résidence aux Arts décoratifs, Guénaëlle de Carbonnières a imaginé Dans le creux des images. Présentée jusqu’au...
11 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Cloud Dancer : 7 séries photo qui arborent la couleur Pantone 2026
© Damien Krisl
Cloud Dancer : 7 séries photo qui arborent la couleur Pantone 2026
Chaque mois de décembre, Pantone dévoile sa couleur pour l’année suivante. Pour 2026, il s’agira de « Cloud Dancer », à savoir une nuance...
10 décembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet