Dans Summer Cancelled, la photographe Adrienn Józan relate son combat contre un lymphome. Faisant du rouge la couleur dominante de son récit, elle convoque un panel d’émotions poignantes, du désespoir à l’espérance, et enfin à la libération.
« En 2019, alors que le monde entier subissait le Covid, j’ai commencé à beaucoup tousser. Six mois plus tard– et de nombreuses visites chez plusieurs médecins –, on m’a diagnostiqué un lymphome non hodgkinien. J’ai passé le reste de l’année à l’hôpital, en chimiothérapie. L’été 2020 n’a pas existé pour moi, et cette année est devenue mon pire cauchemar », raconte Adrienn Józan. Alors trop faible pour débuter un projet d’envergure, la photographe hongroise autodidacte se met à documenter ses séances. Pour témoigner de son existence, et pour informer sa famille de son évolution, à une époque où les salles de soins devenaient des cellules solitaires et où les visiteurices ne pouvaient entrer. Son traitement terminé, l’artiste reprend des forces, s’observe, capture sa vulnérabilité avec une honnêteté troublante. Puis, lorsqu’on lui annonce en 2021 qu’elle est guérie, la libération la submerge, et l’inspire. « Mais après quelques semaines j’ai commencé à avoir peur. Je rêvais que la maladie revenait. La photographie m’a permis de me redéfinir et de comprendre les événements du passé », poursuit-elle.
Amoureuse du 8e art depuis l’adolescence, Adrienn Józan se libère grâce au médium, ouvre les portes d’un monde nouveau, où les possibles sont infinis. Depuis, elle développe une pratique « instinctive et pourtant construite », où les émotions régissent les thématiques, et la raison les met en scène. « Si je commence à m’intéresser à quelque chose, je me lance dans des recherches qui viennent affiner mon ressenti initial. Le concept derrière mes séries naît souvent lorsque j’ai réalisé leurs premières images », résume-t-elle. Et c’est justement sa sensibilité qui donne vie à Summer Cancelled. Submergée par une palette entière de sentiments, elle se plonge dans la création pour parvenir à illustrer son expérience et combattre l’anxiété qui la ronge.
Voir du rouge partout
Limaces visqueuses, fruits aux pépins carmin, arbres morts, spots rougeoyants… Dans Summer Cancelled, les visions se veulent métaphoriques. Elles transcendent le réel et apposent – implacables – un filtre sanguinolent sur chaque décor et chaque visage. Une décision consciente, puisque le lymphome (cancer du système lymphatique) se répand par les glandes et les vaisseaux. « Il fait partie des cancers du sang, et après quelques jours à y penser, j’ai commencé à voir du rouge partout », confie l’artiste. Souhaitant surprendre les regardeurices, cette dernière utilise la nature pour convoquer l’aspect organique de l’intérieur du corps humain. Les animaux visqueux, la pulpe pourpre de la grenade, les branches sèches et cassantes se font alors allégories d’un organisme en proie à un combat interne, dont les forces peinent à se restaurer. « En photographiant ces éléments, j’ai réalisé que les gros plans d’objets ordinaires et dégoûtants me fascinaient, poursuit la photographe. J’ai ressenti une sorte d’excitation enfantine lorsque j’ai shooté les limaces. Les scientifiques estiment qu’il s’agit d’une conséquence de l’évolution : les humain·es identifient les substances nocives à éviter. »
Pourtant, çà et là, des éclaircies projettent une salve d’espoir sur cet ensemble cramoisi. Comme une providence bienfaitrice, une trace de la convalescence de l’autrice, dont la santé s’améliore au fil des jours. Ces clichés-là laissent entrer la couleur, le blanc de l’espérance comme la paix intérieure. Une mosaïque d’émotions portée par l’autoportrait de Adrienn Józan, yeux fermés et crâne chauve, d’une sérénité époustouflante. Parmi les ruines qui s’amassent, les natures mortes sanguines qui aveuglent l’horizon, ces compositions brillent davantage encore, porteuses d’une envie impérieuse de s’en sortir.
© Adrienn Józan