Adrienn Józan et la maladie qui fit disparaître l’été

29 mai 2023   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Adrienn Józan et la maladie qui fit disparaître l’été

Dans Summer Cancelled, la photographe Adrienn Józan relate son combat contre un lymphome. Faisant du rouge la couleur dominante de son récit, elle convoque un panel d’émotions poignantes, du désespoir à l’espérance, et enfin à la libération.

« En 2019, alors que le monde entier subissait le Covid, j’ai commencé à beaucoup tousser. Six mois plus tard– et de nombreuses visites chez plusieurs médecins –, on m’a diagnostiqué un lymphome non hodgkinien. J’ai passé le reste de l’année à l’hôpital, en chimiothérapie. L’été 2020 n’a pas existé pour moi, et cette année est devenue mon pire cauchemar », raconte Adrienn Józan. Alors trop faible pour débuter un projet d’envergure, la photographe hongroise autodidacte se met à documenter ses séances. Pour témoigner de son existence, et pour informer sa famille de son évolution, à une époque où les salles de soins devenaient des cellules solitaires et où les visiteurices ne pouvaient entrer. Son traitement terminé, l’artiste reprend des forces, s’observe, capture sa vulnérabilité avec une honnêteté troublante. Puis, lorsqu’on lui annonce en 2021 qu’elle est guérie, la libération la submerge, et l’inspire. « Mais après quelques semaines j’ai commencé à avoir peur. Je rêvais que la maladie revenait. La photographie m’a permis de me redéfinir et de comprendre les événements du passé », poursuit-elle.

Amoureuse du 8e art depuis l’adolescence, Adrienn Józan se libère grâce au médium, ouvre les portes d’un monde nouveau, où les possibles sont infinis. Depuis, elle développe une pratique « instinctive et pourtant construite », où les émotions régissent les thématiques, et la raison les met en scène. « Si je commence à m’intéresser à quelque chose, je me lance dans des recherches qui viennent affiner mon ressenti initial. Le concept derrière mes séries naît souvent lorsque j’ai réalisé leurs premières images », résume-t-elle. Et c’est justement sa sensibilité qui donne vie à Summer Cancelled. Submergée par une palette entière de sentiments, elle se plonge dans la création pour parvenir à illustrer son expérience et combattre l’anxiété qui la ronge.

© Adrienn Józan© Adrienn Józan

Voir du rouge partout

Limaces visqueuses, fruits aux pépins carmin, arbres morts, spots rougeoyants… Dans Summer Cancelled, les visions se veulent métaphoriques. Elles transcendent le réel et apposent – implacables – un filtre sanguinolent sur chaque décor et chaque visage. Une décision consciente, puisque le lymphome (cancer du système lymphatique) se répand par les glandes et les vaisseaux. « Il fait partie des cancers du sang, et après quelques jours à y penser, j’ai commencé à voir du rouge partout », confie l’artiste. Souhaitant surprendre les regardeurices, cette dernière utilise la nature pour convoquer l’aspect organique de l’intérieur du corps humain. Les animaux visqueux, la pulpe pourpre de la grenade, les branches sèches et cassantes se font alors allégories d’un organisme en proie à un combat interne, dont les forces peinent à se restaurer. « En photographiant ces éléments, j’ai réalisé que les gros plans d’objets ordinaires et dégoûtants me fascinaient, poursuit la photographe. J’ai ressenti une sorte d’excitation enfantine lorsque j’ai shooté les limaces. Les scientifiques estiment qu’il s’agit d’une conséquence de l’évolution : les humain·es identifient les substances nocives à éviter. »

Pourtant, çà et là, des éclaircies projettent une salve d’espoir sur cet ensemble cramoisi. Comme une providence bienfaitrice, une trace de la convalescence de l’autrice, dont la santé s’améliore au fil des jours. Ces clichés-là laissent entrer la couleur, le blanc de l’espérance comme la paix intérieure. Une mosaïque d’émotions portée par l’autoportrait de Adrienn Józan, yeux fermés et crâne chauve, d’une sérénité époustouflante. Parmi les ruines qui s’amassent, les natures mortes sanguines qui aveuglent l’horizon, ces compositions brillent davantage encore, porteuses d’une envie impérieuse de s’en sortir.

© Adrienn Józan© Adrienn Józan
© Adrienn Józan© Adrienn Józan
© Adrienn Józan© Adrienn Józan
© Adrienn Józan© Adrienn Józan
© Adrienn Józan© Adrienn Józan

© Adrienn Józan

Explorez
Les images de la semaine du 10 novembre 2025 : ébullition photographique 
Berceau de Moïse (Reine de la nuit), Guyane, 2025 © Sylvie Bonnot, courtesy Hangar Gallery, Brussels
Les images de la semaine du 10 novembre 2025 : ébullition photographique 
C’est l’heure du récap ! Cette semaine, les événements photographiques abondent à Paris. Voici un tour d’horizon des festivals, foires et...
16 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
5 événements photo à découvrir ce week-end
© Boby
5 événements photo à découvrir ce week-end
Ça y est, le week-end est là. Si vous prévoyez une sortie culturelle, mais ne savez pas encore où aller, voici cinq événements...
15 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les images de la semaine du 3 novembre 2025 : les actualités de Fisheye
© Ian Cheibub
Les images de la semaine du 3 novembre 2025 : les actualités de Fisheye
C’est l’heure du récap ! Entre la parution d’un nouvel ouvrage, la sortie du numéro #74 et celle d’un épisode de Focus, la semaine a été...
09 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Paris Photo 2025 célèbre la photographie au Grand Palais
© Chloé Azzopardi / Fisheye Gallery
Paris Photo 2025 célèbre la photographie au Grand Palais
Du 13 au 16 novembre 2025, les yeux des amateurs de photographie seront tournés vers Paris Photo. La foire internationale se tiendra de...
05 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Jonathan Bertin : l'impressionnisme au-delà des frontières
Silhouette urbaine, Séoul Impressionism © Jonathan Bertin
Jonathan Bertin : l’impressionnisme au-delà des frontières
Jusqu’au 20 décembre 2025, Jonathan Bertin présente, à la Galerie Porte B, un dialogue délicat entre sa Normandie natale et Séoul, ville...
Il y a 5 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Emilio Azevedo : En ligne de mire
Rondônia (Comment je suis tombé amoureux d’une ligne), 2023 © Emilio Azevedo
Emilio Azevedo : En ligne de mire
Présentée dans le cadre du festival PhotoSaintGermain et au musée du Quai Branly, l'exposition Rondônia. Comment je suis tombé amoureux...
Il y a 10 heures   •  
Écrit par Milena III
À la MEP, Tyler Mitchell joue avec les codes du portrait formel
The root of all that lives, 2020 © Tyler Mitchell. Courtesy de l'artiste et de la Galerie Gagosian
À la MEP, Tyler Mitchell joue avec les codes du portrait formel
Jusqu’au 25 janvier 2026, la Maison européenne de la photographie présente la première exposition personnelle de Tyler Mitchell en...
19 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Au musée des Arts décoratifs, Guénaëlle de Carbonnières exhume la mémoire
© Guénaëlle de Carbonnières
Au musée des Arts décoratifs, Guénaëlle de Carbonnières exhume la mémoire
Jusqu’au 1er février 2026, le musée des Arts décoratifs de Paris vous invite à découvrir Dans le creux des images. Cette exposition...
19 novembre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet