« Anima », transes costumées

04 août 2022   •  
Écrit par Lou Tsatsas
« Anima », transes costumées

Dans Anima, un ouvrage haut en couleur, le photographe Mathieu Richer Mamousse capture les pèlerinages du monde entier, et les costumes des fidèles. Une lecture singulière de la spiritualité, et de son universalité.

Séville, Lourdes, Stonehenge, Port-au-Prince, cortèges bariolés, atours de velours, robes fleuries… Dans les photographies de Mathieu Richer Mamousse, sous les rayons d’un soleil chaleureux, les corps se mêlent, la fête résonne et les visages s’abandonnent, s’adonnant à l’exaltation – celle du groupe ou celle de la foi. Partout, les costumes, les vêtements, les accessoires étincellent et parent les défilés humains d’une dimension sacrée. Comme un halo de tissus, de motifs épousant les formes de la spiritualité. C’est un peu par hasard que le photographe venu du sud de la France a découvert le 8e art. D’abord étudiant en langue et littérature, il découvre, lors d’un échange aux États-Unis, le potentiel créatif du médium. « Je suivais un cours d’art là-bas, et j’ai pris une grosse claque grâce à un photographe qui enseignait. Je cherchais à l’époque un moyen de réunir plusieurs choses : l’artistique, le graphisme, mais aussi des thématiques importantes, et un moyen de poser un certain regard sur le monde », se souvient-il.

De retour en France, l’auteur commence un apprentissage au sein d’une école, mais arrête rapidement lorsqu’il commence à travailler en studio. Assistant-photographe, il fait ses armes, apprend les subtilités du métier, et découvre les exigences du milieu de la mode. Une écriture qui influence aujourd’hui ses projets personnels – notamment Anima. Car constitué entre 2017 et 2019, le corpus d’images explore la notion de pèlerinage par un prisme singulier : le vêtement. « Au moment de débuter ce projet, je shootais pour de la pub, et j’avais envie de me lancer dans le documentaire. Je m’intéressais alors beaucoup à la spiritualité. En cherchant davantage d’informations, j’ai découvert la Semaine sainte, à Séville, et j’ai décidé d’y aller », explique l’artiste. Une première expérience qui le pousse à poursuivre sa recherche de célébrations. Oscillant entre les commandes et ses propres explorations, il entame alors un voyage, finançant son projet à l’aide de ses créations commerciales. « J’aime l’idée que les fonds aient été récoltés avec une autre pratique de la photo : j’aime me balader entre ces deux domaines », précise-t-il.

© Mathieu Richer Mamousse© Mathieu Richer Mamousse

Des traditions à l’épreuve du temps

Enfermées dans un ouvrage à la couverture rouge et au titre doré, les photographies de Mathieu Richer Mamousse fourmillent de détails infimes, de professions de foi aussi discrètes qu’évidentes. Au fil des pages, on se perd. Comme si la localisation n’avait aucune importance. Partout, les faciès des croyants reflètent la sérénité, l’abandon. Telle une transe commune se hissant jusqu’aux cieux grâce à l’impulsion du monde, et des autres. Et c’est justement ces résonances que le photographe entend sublimer. « J’ai toujours été beaucoup touché par la foi, par ceux qui croient, qui mettent leur espoir dans quelque chose. J’ai souhaité montrer l’universalité des faits religieux. Car si tout se décline, les mêmes questionnements émergent : la vie, la mort, la manière de se comporter en société… J’ai donc créé une sorte de patchwork. L’objectif de ce livre ? Ce n’est pas de faire un inventaire, ni de questionner la croyance, mais bien de montrer cette universalité à travers le prisme du vêtement », confie l’auteur.

Aux frontières du documentaire et de l’intime, loin d’une quelconque volonté anthropologique, Anima fait alors l’éloge du « tout », d’un ensemble aux multiples nuances et aux échos communs. Prises à l’argentique, les images ne sont jamais mises en scène, reflétant une volonté de capturer l’événement dans la pureté la plus totale, dans sa sincérité la plus troublante. Magnifiés par les pellicules chaudes utilisées par Mathieu Richer Mamousse – « qui évoquent aussi les représentations picturales des saints dans les tableaux », remarque-t-il – les habits prennent une ampleur sacrée. Véritables protagonistes, ces costumes rappellent eux aussi l’immortalité des traditions à l’épreuve du temps : « la transmission est très importante lors de ces fêtes, les vêtements sont récupérés, passés à travers les générations », ajoute le photographe. Coiffes, bijoux, éventails, masques, ceintures… Dans ce tourbillon d’accessoires, de couleurs, de joie et d’adoration, les pistes se brouillent, et l’immersion est totale. À l’épreuve des frontières, Anima parvient à encapsuler une émulsion détonante. Une « transe collective assez belle », dont la force communicatrice parvient sans peine jusqu’à nous.

 

Anima, Éditions Atelier Bergère, 37€, 60 p. 

© Mathieu Richer Mamousse© Mathieu Richer Mamousse
© Mathieu Richer Mamousse© Mathieu Richer Mamousse

© Mathieu Richer Mamousse

© Mathieu Richer Mamousse© Mathieu Richer Mamousse
© Mathieu Richer Mamousse© Mathieu Richer Mamousse

© Mathieu Richer Mamousse

© Mathieu Richer Mamousse© Mathieu Richer Mamousse
© Mathieu Richer Mamousse© Mathieu Richer Mamousse

© Mathieu Richer Mamousse

© Mathieu Richer Mamousse

Explorez
Marc Riboud : dix ans de conflit vietnamien dans une exposition
À la sortie de l'école dans un village de la côte, Nord Vietnam, 1969 © Marc Riboud / Fonds Marc Riboud au musée Guimet
Marc Riboud : dix ans de conflit vietnamien dans une exposition
Le musée Guimet des Arts asiatiques et l’association Les Amis de Marc Riboud s’unissent pour présenter l’exposition Marc Riboud –...
18 avril 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Basile Pelletier et Sølve Sundsbø conversent : « La curiosité est ma principale source d'inspiration »
Le linge, 2021 © Basile Pelletier
Basile Pelletier et Sølve Sundsbø conversent : « La curiosité est ma principale source d’inspiration »
Le jeune talent Basile Pelletier, 21 ans, ancien élève de la section art et image de l’école Kourtrajmé, échange avec le photographe...
17 avril 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
La sélection Instagram #502 : rebelle un jour, rebelle toujours
© Piotr Pietrus / Instagram
La sélection Instagram #502 : rebelle un jour, rebelle toujours
Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine font résistance. Résistance contre l’oppression, contre les diktats, contre les...
15 avril 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Fotohaus Bordeaux 2025 : des existences engagées
© Olivia Gay
Fotohaus Bordeaux 2025 : des existences engagées
La quatrième édition de Fotohaus Bordeaux a commencé. Jusqu’au 27 avril 2025, l’Hôtel de Ragueneau accueille l’événement qui, cette...
12 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Les images de la semaine du 14 avril 2025 : mémoire et conversations
© Louise Desnos
Les images de la semaine du 14 avril 2025 : mémoire et conversations
C’est l’heure du récap ! Récits intimes, histoires personnelles ou collectives, approches de la photographie… Cette semaine, la mémoire...
20 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Eulogy : Sander Coers et les traumatismes intergénérationnels
© Sander Coers
Eulogy : Sander Coers et les traumatismes intergénérationnels
Au fil de ses projets, Sander Coers sonde la mémoire en s’intéressant notamment à l’influence que nos souvenirs exercent sur notre...
19 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
12 expositions photographiques à découvrir en avril 2025
© Delali Ayivi
12 expositions photographiques à découvrir en avril 2025
L’arrivée du printemps fait également fleurir de nombreuses expositions. Pour occuper les journées qui s’allongent ou les week-ends...
18 avril 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Marc Riboud : dix ans de conflit vietnamien dans une exposition
À la sortie de l'école dans un village de la côte, Nord Vietnam, 1969 © Marc Riboud / Fonds Marc Riboud au musée Guimet
Marc Riboud : dix ans de conflit vietnamien dans une exposition
Le musée Guimet des Arts asiatiques et l’association Les Amis de Marc Riboud s’unissent pour présenter l’exposition Marc Riboud –...
18 avril 2025   •  
Écrit par Marie Baranger