Ann Massal et les amours violentes qui nous façonnent

24 avril 2023   •  
Écrit par Milena III
Ann Massal et les amours violentes qui nous façonnent

À l’occasion du festival Circulation(s), qui se tient jusqu’au 21 mai 2023, nous avons pu rencontrer Ann Massal, qui expose un travail tout en profondeur sur les tensions existantes, et existentielles au sein d’une relation. Soit l’une des œuvres choc les plus marquantes de cette 13e édition.

Un homme, une femme. Leur beauté, leur animalité. Leur sensualité, leur cruauté. On love, violence and the lack of it (À propos de l’amour, de la violence et du manque de celleux-ci) évoque une histoire personnelle traumatique, mais elle pourrait tout aussi bien faire référence aux tensions qui ont traversé l’histoire de l’humanité. À travers la série la plus récente d’Ann Massal, celle-ci souhaite offrir une interprétation des deux grandes œuvres françaises contemporaines écrites par des femmes :Vers la violence de Blandine Rinkel, et Cher Connard de Virginie Despentes, avec qui elle partage une approche non manichéenne. De l’amour, comme de la violence, elle choisit pour les traiter l’image, « pour ce qui la distingue de l’écrit », déclare-t-elle. Et un titre plein d’ambivalence. The lack (le manque) s’applique-t-il à un terme ou à l’autre ? Dans cette histoire, y a-t-il eu manque d’amour ou manque de violence ? Les deux ? Où y aurait-il un amour de la violence chez Ann Massal ?Grâce à la formule anglaise, le doute plane.

« Thanatose : comportement de certains animaux qui consiste à simuler la mort devant un danger. » En lettres de charbon noir, dont certaines sont stylisées comme des croix de cimetière : une définition. Peut-être celle de notre animalité, et de notre humanité. Certaines petites bêtes, en effet, ont pour habitude de se pétrifier et peuvent même arrêter de respirer, afin de se protéger de l’adversité. De même, face à la violence et au trauma, nous pouvons nous enfermer en nous-mêmes et cesser d’y permettre l’accès à autrui. Les forces qui parcourent l’histoire, prise entre désir, colère et apaisement, constituent à la fois notre héritage le plus lourd, et notre plus grande vitalité. Au cœur de toute relation également, il y a le bien et le mal. « Et c’est ainsi », nous rappelle Ann Massal. Son ambition ? Dire l’envers du décor, « l’invu de la violence » que l’on ne soupçonne pas toujours.

© Ann Massal© Ann Massal

Magnétisme et révulsion

Des images déchirées puis réassemblées, un immense papier réfléchissant accroché au mur, afin que les visiteurices se reflètent elleux-mêmes, une photo d’un pénis en gros plan, au filtre vert fluorescent, une petite fille repeinte au vernis à ongles… Si Ann Massal emploie une vaste gamme de techniques artistiques, qui créent elles-mêmes des possibilités d’interprétation décuplées, son exposition forme un ensemble « décomplexé » d’après son expression – proche d’un regard queer, pourrait-on même avancer. « Il est possible de s’extirper des cadres sacralisants de la photographie, et de l’art en général. C’est ce que j’ai voulu réaliser ici », nous explique-t-elle. Selon l’œil de chacun·e, il y a la férocité et la douceur, il y a la perversité et le plaisir, et il y a l’horreur et la beauté.

Évoquer ce sentiment d’attraction-répulsion à travers le médium devient pour Ann Massal une manière de travailler sur la norme. En ce sens, l’artiste partage l’audace et l’œil vif de la photographe Maisie Cousins. Sa plus grande angoisse ? Tomber dans le cliché. « Surtout lorsque l’on travaille sur l’ambiguïté », confie-t-elle. Alors qu’elle a commencé sa carrière dans l’industrie de la mode et de la beauté, elle s’insurge désormais contre les stéréotypes, et tente d’illustrer à quel point nos points de vue peuvent différer selon notre marquage social. « J’évoque notamment notre rapport au vieillissement. Or le vin et le fromage deviennent meilleurs à mesure qu’ils prennent de l’âge ! », ironise-t-elle. Ann Massal nous offre, avec On love, violence and the lack of it sa propre vision de la beauté. Car peut-être celle-ci réside-t-elle, avant tout, dans l’ambiguïté des choses.

© Ann Massal© Ann Massal
© Ann Massal© Ann Massal

© Ann Massal

© Ann Massal© Ann Massal
© Ann Massal© Ann Massal

© Ann Massal

© Ann Massal

Explorez
Eli Monferier : visible à la foi
© Elie Monferier
Eli Monferier : visible à la foi
À travers Sanctuaire – troisième chapitre d’un projet au long cours – Elie Monferier révèle, dans un noir et blanc pictorialiste...
Il y a 2 heures   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Eimear Lynch s'immisce dans les préparatifs de soirées entre adolescentes 
© Eimear Lynch
Eimear Lynch s’immisce dans les préparatifs de soirées entre adolescentes 
Dans le souvenir de bons moments de son adolescence, Eimear Lynch, aujourd’hui âgée de 29 ans, a imaginé Girls’ Night. Au fil des pages...
19 novembre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Les coups de cœur #519 : Pauline Köhlen et Ryan Young
© Pauline Köhlen
Les coups de cœur #519 : Pauline Köhlen et Ryan Young
Pauline Köhlen et Ryan Young, nos coups de cœur de la semaine, s’intéressent à une forme d’ancrage. La première interroge notre relation...
18 novembre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet
My Book de Sofiya Loriashvili : fragments d’une jeunesse tourmentée
© Sofiya Loriashvili
My Book de Sofiya Loriashvili : fragments d’une jeunesse tourmentée
Dans le cadre de la publication d’un ouvrage sobrement intitulé My Book, Sofiya Loriashvili a lancé une campagne de financement...
13 novembre 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Eli Monferier : visible à la foi
© Elie Monferier
Eli Monferier : visible à la foi
À travers Sanctuaire – troisième chapitre d’un projet au long cours – Elie Monferier révèle, dans un noir et blanc pictorialiste...
Il y a 2 heures   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Visions d'Amérique latine : la séance de rattrapage Focus !
© Alex Turner
Visions d’Amérique latine : la séance de rattrapage Focus !
Des luttes engagées des catcheuses mexicaines aux cicatrices de l’impérialisme au Guatemala en passant par une folle chronique de...
20 novembre 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Richard Pak tire le portrait de l’île Tristan da Cunha
© Richard Pak
Richard Pak tire le portrait de l’île Tristan da Cunha
Avec Les îles du désir, Richard Pak pose son regard sur l’espace insulaire. La galerie Le Château d’Eau, à Toulouse accueille, jusqu’au 5...
20 novembre 2024   •  
Écrit par Costanza Spina
Eimear Lynch s'immisce dans les préparatifs de soirées entre adolescentes 
© Eimear Lynch
Eimear Lynch s’immisce dans les préparatifs de soirées entre adolescentes 
Dans le souvenir de bons moments de son adolescence, Eimear Lynch, aujourd’hui âgée de 29 ans, a imaginé Girls’ Night. Au fil des pages...
19 novembre 2024   •  
Écrit par Apolline Coëffet