Fisheye : Pourquoi t’es-tu intéressée aux jeunes femmes de l’armée d’Israël ?
Iris Hassid Segal : Tout a commencé en 2006 par un projet baptisé “Over-Looking”, pour lequel j’ai photographié des adolescentes, qui devaient gérer à la fois la construction de leur identité, de leur image et de leur féminité. C’était à l’époque où la télé-réalité a émergé en Israël, juste avant l’explosion des réseaux sociaux. La culture de la jeunesse israélienne a été influencé par celle des États-Unis. Au moment où je me suis lancée dans cette série, les bals de promo devenaient à la mode. J’ai été présentée à Anna, qui m’a laissé la photographier avec ses amies. J’étais intriguée par la facilité avec laquelle elles se sont familiarisées à l’objectif, et leur maîtrise de leur propre image. Puis Anna m’a dit qu’elle allait devoir effectuer son service militaire. Alors je l’ai suivie là-bas.
Qu’est-ce tu as cherché à montrer avec « At Eighteen » ?
Au départ, j’avais prévu de photographier Anna et de poursuivre mon travail avec elle dans la continuité de « Over-Looking ». Mais une fois dans le Camp 80, j’ai su que j’avais là une belle opportunité d’apporter un autre regard sur la représentation des femmes soldat en Israël. Je voulais montrer le côté amusant, absurde, féminin et girly de cet environnement totalement masculin. Et aussi le fardeau que ça représente, à ce jeune âge, de rejoindre l’armée.
Est-ce que ça a été facile d’obtenir les autorisations pour photographier les filles ?
J’ai reçu une permission spéciale de l’Armée pour rejoindre et photographier le quotidien du Camp 80 – depuis il a été déplacé ailleurs. J’ai été très surprise, oui, de la facilité avec laquelle j’ai obtenu cette autorisation. Quant à Anna, elle a été surprise et choqué d’apprendre que je la suivrai là-bas. Je suis restée avec elle pendant une semaine, puis j’ai rejoint un autre groupe.
Quel est l’état d’esprit du jeune fille de 18 ans rejoint l’armée parce qu’elle y est obligée ?
C’est un univers totalement différent de celui dans lequel elles ont grandi. Les filles venaient juste de terminer le lycée et leurs objectifs, c’étaient leurs robes de bal, s’amuser, rencontrer des garçons… Comme n’importe quelle fille Occidentale de cet âge. La transition entre « le monde libre » et l’armée est brutale – c’est un nouveau monde de règles et d’obligations. Alors qu’elles doivent s’adapter à l’uniforme, elles luttent aussi pour préserver leur féminité et leur identité propre.
Tu étais avec elles toute la journée ?
Je m’y rendais chaque matin et repartais à la nuit tombée. Le camp se trouvait à une heure de route de Tel Aviv.
Quelle relation entretenais-tu avec elles ?
C’était tellement amusant d’être avec elles ! Mais je ne crois pas qu’elles aient jamais compris mon intérêt et ma motivation pour ce travail. La plupart s’ajustaient à leur nouveau quotidien, et je faisais partie de ce quotidien. Je ne crois pas que ma présence ait eu un grand effet sur elles. C’était fun et tout ça, mais elles étaient bien plus préoccupées par le fait de devoir être ponctuelles, leurs pauses clopes, leurs missions… Je pense qu’elles étaient surtout submergées.
Pourquoi es-tu devenue photographe ?
J’ai toujours été quelqu’un d’observateur : la photo me permet d’entrer dans la vie des gens, de me retrouver dans des situations que je ne pourrais pas vivre sans un appareil. Enfin, j’aime capturer la beauté, les formes et l’interaction entre les sujets et leur environnement. J’apprécie surtout les relations que je tisse avec les gens que je photographie. La photographie permet d’exprimer ma vision et mon ressenti du monde. C’est intéressant parce qu’elle révèle une part d’inconscient, qui ressort de manière incontrôlée au moment où tu déclenches.