Nourri d’iconographies religieuses, de peinture classique et de cinéma populaire, Aurélien Mathis compose des images hautement mises en scène, où l’intime devient une fresque symbolique. À travers une esthétique soignée, parfois « too much » et assumée, il érige une mythologie contemporaine des liens et des émotions. Il revient ici sur ses influences, son rapport à la mise en scène, la part politique de son travail et ce qui, pour lui, donne chair à une image.
Dans l’œuvre photographique d’Aurélien Mathis, chaque image est une scène, chaque sujet une icône, chaque lumière une invocation. Son « culte des images incarnées » – selon ses propres termes – ne relève pas d’une simple esthétique : il s’agit d’un véritable geste d’adoration visuelle. « C’est rendre palpable l’admiration que je porte à toute l’imagerie mise en scène », confie-t-il. Influencé par la peinture classique, le cinéma, la publicité et la photographie théâtrale, l’artiste élabore des compositions où la fiction déborde le réel, dans une quête assumée de transformation symbolique. Ses références le situent dans une filiation explicite, mais jamais figée. Jeff Wall pour la rigueur architectonique, Nan Goldin pour l’engagement poétique et communautaire, Pierre et Gilles pour la dimension sacrée et camp. « Leur travail me plaît parce qu’il icônise les sujets en les plaçant dans un espace visuel sacré, où la peinture, l’encadrement, l’unicité du tirage participent de la mise en mythe », explique-t-il. Cette sacralisation, chez Aurélien Mathis, devient politique.
L’artiste assume une filiation paradoxale à la peinture académique. « Mon regard d’aujourd’hui peut la trouver excluante, mais je n’ai jamais cessé d’y voir des espaces homoérotiques. Valoriser mes sujets dans ces contextes visuels, c’est les montrer dans un cadre accepté tout en faisant écho à l’histoire de l’art. » Une manière de reconfigurer les hiérarchies esthétiques en y injectant du désir queer. Techniquement, Aurélien Mathis opte pour le 6×7 moyen format, le tirage baryté contrecollé sur Dibond et une échelle imposante. « Donner cette présence physique à mes sujets, ce poids visuel, c’est affirmer qu’iels méritent d’être regardé·es avec soin », affirme-t-il. La monumentalité devient une forme de respect, voire de réparation. Mais l’artiste n’écarte pas d’autres formats plus souples : projections, impressions textiles, éditions… Il revendique une attention constante à la matérialité de l’image et à ses modes de monstration – y compris sur les réseaux sociaux, qu’il considère comme « un support à part entière ».
« Tout part du cœur »
« Tout part du cœur. Je décide de photographier une histoire quand j’ai un coup de foudre », explique le photographe. La rencontre est au centre : avec un lieu, un corps, une sensation. Les lieux choisis – Marseille hier, Paris aujourd’hui – ne sont jamais neutres : ils sont familiers, revisités, vécus. Les gestes que l’on y voit sont façonnés par les récits et les environnements. Ils se veulent « sculpturaux, figés, solides », comme des statues modernes en pleine fragilité. L’esthétique queer qui traverse ses séries, comme ancora, ancora, ancora ou team violette, rose, lavande mais myrtille un peu aussi, ne relève pas d’un manifeste identitaire. Elle est vécue, expérimentée, aimée. « Je ne cherche pas à représenter la communauté queer. Mais j’en fais partie, je la regarde, je la vis. » Face à la banalité ou à la violence du quotidien, sa photographie romantise sans édulcorer. Elle intègre les contrastes – joie, fantasme, douleur – dans une forme d’autofiction sincère, poreuse, engagée. « Mes images sont peut-être des formes d’hommages, ou de transmissions. Elles conservent la trace d’expériences communautaires, dans la complicité, la fragilité, la découverte », dit-il encore.
Si le cadre est maîtrisé, les modèles photographiés participent à l’intensité du résultat. « Leur présence n’est jamais neutre. Parfois, leur lien personnel avec ce que je veux raconter donne à l’image une justesse que je n’aurais pas pu provoquer seul », assure-t-il. Et quand cette justesse ne peut venir que de lui, l’artiste entre lui-même dans l’image : « L’autoportrait me permet d’incarner ce que je ne peux transmettre autrement. » Dans les prochains mois, Aurélien Mathis rêve d’intensifier sa production, de s’entourer davantage, de produire plus grand, plus libre, plus collectif – mais aussi plus spontané. Il évoque une envie de travailler avec des musiciens, d’adapter Le Chant d’Achille au cinéma. À l’image de ses œuvres, ses désirs artistiques sont amples, tendus vers l’incarnation : celle d’une époque mais aussi d’un geste affectueux rendu visible.