Jusqu’au 26 janvier 2025, le musée des Arts décoratifs évoque l’un des rôles qu’eut la photographie au siècle passé à travers l’exposition La Mode en modèles. À l’époque, le médium servait notamment aux maisons de couture à lutter contre la contrefaçon.
Alors que la foule se presse pour découvrir L’intime, de la chambre aux réseaux sociaux, le musée des Arts décoratifs accueille une autre exposition qui, paradoxalement peut-être, se révèle plus intimiste. Nichée au premier étage, La Mode en modèles attire, de fait, un public plus confidentiel, amateur de mode ou de photographie. L’espace, tamisé afin de préserver les vêtements, nous plonge dans une ambiance feutrée qui n’est pas sans rappeler celle des ateliers de couture. C’est justement en leur cœur qu’a jailli un besoin qui fait aujourd’hui l’objet de cet accrochage : lutter contre la contrefaçon. Si cette dernière a pris une nouvelle dimension à partir de la révolution industrielle, la copie existe depuis l’Antiquité, et ce, dans des domaines très variés tels que l’art, les produits de loisirs et d’hygiène, les médicaments ou encore l’alimentation. Depuis l’avènement de la haute couture, le secteur textile français, fortement touché, a tâché de la combattre. Pour ce faire, celui-ci a eu recours au dépôt de modèles qui permettait mieux que tout autre outil de montrer l’originalité d’un vêtement en cas de procès.
Un rôle à la fois déterminant et ambivalent
Comme l’explique le texte introductif de l’exposition, le dépôt de modèles « consiste en une représentation photographique ou dessinée de l’objet à protéger, quand ce n’est pas l’objet lui-même, éventuellement un descriptif technique et un échantillon des matières employées, placés dans une boîte numérotée, signée puis scellée et déposée auprès d’un organe judiciaire ». Ce procédé s’inspire de l’anthropométrie, dont le criminologue Alphonse Bertillon a énoncé les principes au 19e siècle afin de standardiser les prises de vue. Le sujet est ainsi photographié de face et de profil. Dans le cadre des portraits de pied, du mobilier aide à comprendre les dimensions. Un nombre facilite le classement et l’identification des images. En s’adonnant à cette pratique pour chacune de ses créations, la grande couturière Jeanne Paquin a été pionnière en la matière. Le procès qu’elle a intenté contre des contrefacteurs, en 1905, a permis au monde de la mode, alors jugé futile, de bénéficier de cette loi jusque-là utilisée principalement dans l’industrie.
En 1940, le conseil de prud’hommes de Paris a transmis plus 70 000 tirages dont le délai de protection était arrivé à expiration au musée des Arts décoratifs. Outre le fait qu’ils évoquent l’importance de la contrefaçon, en particulier durant l’entre-deux-guerres, ils soulignent le rôle à la fois déterminant et ambivalent qu’a endossé la photographie en cette période. Utilisée pour garantir l’authenticité de vêtements et d’accessoires de mode, elle a également servi à les reproduire. En effet, les faussaires profitaient des évolutions techniques des boîtiers, pouvant prendre des formes plus légères et plus compactes, pour immortaliser les modèles à copier, en témoigne une « photo-cravate » exposée, datant de 1890. Comme son nom le suggère, il s’agissait d’une bande d’étoffe à nouer comportant un objectif. Jusqu’à six petites plaques de verre, support des impressions, y étaient dissimulées.
Affirmer sa dimension politique
Plus largement, le dépôt de modèles s’est imposé comme un mouvement en marge des clichés publiés dans la presse. Les photographes et les mannequins restaient, pour l’essentiel, dans l’anonymat en raison de la portée des documents qui se cantonnaient à un usage juridique et privé. Parmi les 120 tirages présentés au musée des Arts décoratifs, quelques-uns sont toutefois signés par de grands noms tels que Man Ray, Thérèse Bonnet ou encore Horst P. Horst. Quelle que soit leur notoriété, toutes et tous ont pourtant participé à écrire l’histoire de la mode et du luxe. À la manière d’indices, ces figures de l’ombre ont rendu compte du fonctionnement d’un milieu, de ses métiers et de ses innovations. À titre d’exemple, la créatrice Charlotte Révyl, qui officiait chez Premet et qui a défini le style garçonne dans les années 1920, aimait à disposer des gravures de crinolines à l’arrière-plan de ses images. La transformation du vestiaire féminin est alors d’autant plus remarquable. En parallèle, les maisons Chéruit, Schiaparelli et Poiret faisaient déjà appel à des femmes noires qu’elles souhaitaient représenter et mettre en avant. « Le dépôt de modèles révèle une autre facette de la mode, au-delà de l’évolution stylistique du vêtement : il fait pénétrer dans la maison de couture, dans l’univers du couturier, des mannequins et des modèles », souligne l’exposition. Outre son aspect économique, cette imagerie documentaire, vouée aux archives et aux tribunaux, s’est ainsi réinventée et a affirmé sa dimension politique avant même que les magazines et les défilés ne prennent le relais.