Deux expositions, l’une à Lille, sur les Black Panthers photographiés par Stephen Shames, et l’autre à Montpellier, sur le mouvement des droits civiques aux États-Unis, interrogent la dimension sociale et politique de la photographie documentaire. Retour sur des pratiques militantes de l’image. Voici la première partie de cet article, à retrouver dans notre dernier numéro.
Été 2017. À Charlottesville (Virginie), la polémique autour du déboulonnage de la statue du général Lee – figure controversée des confédérés – éclate. Le 12 août, lors d’un rassemblement de l’extrême droite américaine, une voiture bélier fonce sur des contre-manifestants antiracistes, faisant un mort et dix-neuf blessés. Le combat est jugé « insensé » par le président américain Donald Trump, connu pour ses dérapages xénophobes. « George Washington possédait des esclaves. Est-ce qu’on va enlever ses statues ? », déclare-t-il alors. Sur Twitter, il ajoute : « Triste de voir l’histoire et la culture de notre grand pays mises en pièces par le retrait de nos magnifiques statues et monuments. »
Si le Ku Klux Klan a officiellement disparu en 1944, certains membres du groupe suprémaciste continuent d’agir. Le sujet a d’ailleurs inspiré Spike Lee pour son dernier film, BlacKkKlansman, J’ai infiltré le Ku Klux Klan. Deux ans après le cinquantième anniversaire du mouvement des Black Panthers et cinquante ans après l’assassinat de Martin Luther King, deux lieux en France s’emparent du sujet encore brûlant des droits civiques aux États-Unis, et pointent une cause faisant l’objet de nombreuses joutes politiques : l’égalité raciale. Il n’y a eu aucune concertation entre les commissaires, pourtant les deux expositions se répondent et se complètent avec évidence. Si toutes deux traitent des Noirs américains dans les années 1960-1970 et ont été imaginées à partir de fonds d’archives, elles se distinguent dans leurs approches. La première est collective et factuelle, tandis que la seconde est monographique et esthétique. Visite et décryptage.
© Roland Freeman
I am a man
L’exposition I am a man – Photographies et luttes pour les droits civiques dans le sud des États-Unis, 1960-70, accueillie par le Pavillon populaire à Montpellier, offre un récit visuel fascinant de la conquête des droits civiques par les Noirs américains. « Cette exposition s’insère dans le dernier volet de la saison 2018 consacré au lien entre photographie et histoire », annonce Gilles Mora, directeur artistique du lieu. Avec William Ferris, le commissaire de l’exposition – anthropologue et professeur d’étude de la culture américaine et afro-américaine à l’université de Yale –, ils vont, après deux ans de recherches, dévoiler des clichés de photographes ou de journalistes locaux témoignant de l’omniprésence de ce mouvement dans la vie quotidienne sud-américaine. Ils expliquent avoir choisi de montrer « le quotidien, vu de l’intérieur ».
Les 350 images sélectionnées, et montrées pour la première fois, illustrent le contexte socio-économique et politique des années 1960-1970. En parcourant l’exposition, le visiteur est plongé dans les revendications, notamment le droit de vote, des Afro-Américains au travers de temps forts. Comme les marches de protestation et de soutien (celle de Washington en 1963, celles de Selma, à Montgomery, en 1965) qui ont constitué les plus grands rassemblements politiques de l’histoire. I am a Man (« Je suis un homme ») s’affiche sur les pancartes des militants en colère. Suivent des clichés autour de l’assassinat puis des funérailles de Martin Luther King. Des images glaçantes de rassemblements du Ku Klux Klan complètent ce panorama. À cette époque, la photographie représente un témoignage puissant du conflit social et politique, marquant les esprits plus fortement que l’oral ou l’écrit.
© Don Sturkey
« J’ai voué ma vie à essayer de rétablir la justice »,
confie William Ferris, qui fut président du National Endowment for the Humanities (NEH, équivalent du ministère de la Culture) durant le deuxième mandat de Bill Clinton. « J’ai grandi dans une ferme. Je jouais avec les enfants des employés noirs. Quand est venu le moment d’aller à l’école, je n’ai pas compris pourquoi nous étions séparés », poursuit-il. Une prise de conscience qui a donné lieu à une série d’actes politiques. « J’ai d’abord enregistré les voix de ce peuple oublié. En 1964, je me suis engagé dans le mouvement des droits civiques », ajoute ce spécialiste de la culture du sud des États-Unis.
« William et moi voulions montrer comment des photographies documentaires ont pu influencer l’opinion publique, déclare Gilles Mora. Des photos de lynchage de Noirs dans la presse ont fait bouger quelques lignes. Et aujourd’hui, elles sont nécessaires pour faire prendre conscience d’éléments un peu oubliés. Je crois au pouvoir des expositions historiques », poursuit le directeur artistique, persuadé que la photographie documentaire constitue un élément capital d’un projet idéologique. « En 1960, le contexte était différent. L’inexistence des réseaux sociaux et des smartphones donnait plus de poids aux images, elles étaient regardées », précise-t-il. Les images d’archives présentant les événements d’il y a cinquante ans résonnent avec les problématiques sociétales actuelles. « Le racisme est un cancer en rémission, et les problèmes sociaux demeurent », conclut William Ferris.
Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #33, en kiosque et disponible ici.
© Roland Freeman
© Dan Budnik
© à g. Bob Adelman, à d. Don Sturkey
© Don Sturkey
© Ernest Withers
I am a man. Photographies et luttes pour les droits civiques dans le sud des États-Unis, 1960-70
Jusqu’au 6 janvier 2019.
Pavillon populaire, Esplanade Charles- de-Gaulle, à Montpellier