boihugo : être nu·e dans un monde de brutes

18 juillet 2023   •  
Écrit par Milena III
boihugo : être nu·e dans un monde de brutes
© boihugo

boihugo, artiste queer né·e en 1995 à Pékin, s’intéresse aux communautés en ligne et hors ligne, ainsi qu’à la notion d’intersectionnalité. Avec cuddle me, don’t colonize me, il compose une constellation de ses rêves et de ses interrogations, entièrement en noir et blanc.

© boihugo
© boihugo
© boihugo
© boihugo

« Je trouve que la photographie est un moyen d’expression artistique très simple et démocratique, qui a le potentiel d’avoir un impact profond sur le paysage culturel actuel. » C’est dans cette perspective que le·la jeune artiste queer boihugo, de son pseudonyme, tente de créer par l’image des alternatives au monde patriarcal normatif, tant de l’hétérosexualité que de l’homosexualité. Car tout en est imprégné, de nos désirs sexuels à notre mémoire, de notre imagination à nos actes, exprime l’auteur de cuddle me, don’t colonize me – véritable puzzle constitué de photos de paysage ou de parties du corps à des natures mortes.

Le regard, qu’il soit colonial ou non, peut-il être interchangeable, interroge-t-iel ? Le travail de boihugo se lit comme une exploration constante de la manière dont nous construisons nos identités et nos relations intimes. Tiré d’un poème intitulé Creatures of The Tropical Night (Créatures de la nuit tropicale) d’Oxi Peng, le titre de son œuvre évoque un désir puissant d’atteindre une douceur, qui pourrait transcender les rapports de domination.

Une homosexualité colonisée

« [Ma photographie] n’est certainement pas la même que celle exposée principalement dans les musées traditionnels, avec un éclairage élégant, des couleurs sophistiquées et une mise en page exquise prise avec des appareils photo grand format. On dit que ce genre d’œuvres dégage une “aura”, mais c’est une sorte de douceur institutionnalisée dont je me sens très éloigné, probablement en raison de ma propre marginalité. » Lucides, les propos de boihugo témoignent d’une réflexion approfondie sur l’histoire même du médium, histoire enracinée dans le colonialisme. « La documentation des colonisé·es a été l’un des premiers emplois de la photographie. Cette action, principalement menée par des anthropologues blancs, était présentée comme un outil scientifique, qui était en réalité un moyen d’illustrer la construction biaisée de la supériorité et de l’infériorité génétiques entre colonisateurices et colonisé·es », assure-t-iel.

La photographie qui ouvre cuddle me, don’t colonize me met en scène un être de dos, nu et droit, assis sur un homme habillé en costume et dont on ne voit pas le visage. Elle met l’accent sur une tension subtile et nuancée. La nudité est généralement perçue comme une fragilité, pourtant, la posture du corps nu, dans l’image, lui confère un certain pouvoir. « Il y a une forme d’interchangeabilité des positions de pouvoir. Le ou la dominant·e cesse d’exister sans le ou la soumis·e », explique-t-il. S’il y a, dans l’œuvre de boihugo, d’un côté l’hyper masculin et de l’autre la vulnérabilité de celleux qui ne correspondent pas aux critères de beauté conventionnels, celle-ci revendique avant toute chose une forme de versatilité, de fluidité, tant dans l’apparence que dans le fond.

En tant que Chinois·e ayant emménagé dans la ville de Londres, boihugo expérimente avec violence un phénomène paradoxal, dans les communautés qu’iel fréquente, de désexualisation, de fétichisation et surtout de marchandisation des personnes queer d’Asie de l’Est. Lente et sourde, cette violence est cultivée quotidiennement au sein des communautés gay – à l’image de cette photo, dans laquelle un fil de pêche est pressé contre une peau humaine, et tire les poils du corps représenté. « Ce n’est pas agressif, mais on peut voir la tension émerger », décrit-t-il. Aux actes de discrimination et aux inégalités latentes existantes dans ces communautés, l’art de boihugo envisage « la sororité et la solidarité comme solutions rêvées ». Seront-elles jamais atteignable ?

© boihugo
© boihugo
© boihugo
© boihugo
© boihugo
© boihugo
© boihugo
© boihugo
© boihugo
© boihugo
© boihugo
© boihugo
© boihugo
© boihugo
Explorez
Abdulhamid Kircher : Sans re-pères
Rotting from Within © Abdulhamid Kircher
Abdulhamid Kircher : Sans re-pères
Dans son travail Rotting from Within, lauréat du grand prix Images Vevey, Abdulhamid Kircher livre un récit intime : tenter de briser un...
23 octobre 2025   •  
Écrit par Ana Corderot
Les coups de cœur #563 : Justin Phillips et Salomé Luce
© Justin Phillips
Les coups de cœur #563 : Justin Phillips et Salomé Luce
Justin Phillips et Salomé Luce, nos coups de cœur de la semaine, dessinent des images dans lesquelles les saisons défilent. Le premier...
20 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Rachel Seidu : être queer à Lille et à Lagos, une fierté émancipatrice
Peas in a Pod II, Emma et Maë, Lille, 2025. © Rachel Seidu
Rachel Seidu : être queer à Lille et à Lagos, une fierté émancipatrice
Dans le cadre du programme hors les murs de l’Institut pour la photographie de Lille, l’artiste nigériane Rachel Seidu expose Peas in a...
17 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Planches Contact change de cap
© Lin Zhipeng (alias n°223), Ce qui s’insinue dans les silences, Planches Contact Festival.
Planches Contact change de cap
Du 18 octobre 2025 au 4 janvier 2026, Planches Contact Festival revient à Deauville pour sa 16e édition. Ces derniers mois, les...
16 octobre 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Kiko et Mar : voyage dans les subcultures de Chine
If you want to come and see me, just let me know © Kiko et Mar
Kiko et Mar : voyage dans les subcultures de Chine
Fruit d’une résidence d’artiste en Chine, la série If you want to come and see me, just let me know, réalisée par le couple de...
24 octobre 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Abdulhamid Kircher : Sans re-pères
Rotting from Within © Abdulhamid Kircher
Abdulhamid Kircher : Sans re-pères
Dans son travail Rotting from Within, lauréat du grand prix Images Vevey, Abdulhamid Kircher livre un récit intime : tenter de briser un...
23 octobre 2025   •  
Écrit par Ana Corderot
MP#06 : un mentorat pour accompagner la singularité
© Jennifer Carlos
MP#06 : un mentorat pour accompagner la singularité
Chaque année, le Fonds Régnier pour la Création et l’Agence VU’ unissent leurs forces pour donner naissance à un espace rare dans le...
22 octobre 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Sara Silks, de l’aube au crépuscule
© Sara Silks
Sara Silks, de l’aube au crépuscule
Pour le 23e numéro de sa série bimensuelle dédiée aux photographes émergent·es, Setanta Books publie le travail délicat de Sara Silks....
21 octobre 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas