Cartes blanches

23 février 2023   •  
Écrit par Eric Karsenty
Cartes blanches

Dans Aster, Grégoire Eloy révèle des clichés en noir et blanc de reliefs issus de différents glaciers capturés depuis plus de vingt ans dans le monde entier. Entre expérience scientifique et photographie conceptuelle, ce passionné de montagne joue avec les frontières du réel. Cet article est à retrouver en intégralité dans notre dernier numéro.

Les images sont belles, blanches, graphiques. Rêveuses. On les parcourt avec plaisir, l’œil s’y attarde avec gourmandise, attiré par des aspérités granuleuses, des masses sombres et sinueuses, sensuelles. Sans horizon et saturés de matière grise, les clichés intriguent, fascinent. Ne sachant dans quel sens les regarder, on perd la notion de l’espace. On les tourne et les retourne encore. Rien n’y fait, le mystère demeure, le charme aussi.

La notion d’espace est pourtant centrale dans ces images issues du satellite Terra placé en orbite autour de notre planète par la Nasa en décembre 1999. Une mission destinée à collecter des données en rapport avec l’évolution de l’environnement et du climat. Avec à bord de la station un instrument – Aster – qui réalise des clichés permettant de recomposer le relief des glaciers photographiés sans relâche durant vingt ans. Une étude colossale sur 200 000 glaciers répertoriés dans le monde que les chercheurs français du laboratoire LEGOS (OMP/CNRS), Étienne Berthier et Romain Hugonnet ont analysée patiemment pour livrer un article remarqué dans Nature au printemps 2021. « Nous révélons ici la fonte accélérée, et régionalement contrastée, des glaciers au début du xxie siècle, précise le scientifique. En utilisant des archives satellitaires largement inexploitées, nous cartographions les changements d’élévation de la surface à une haute résolution spatio-temporelle sur tous les glaciers de la Terre. […] Ces nouvelles observations permettront de mieux contraindre les projections de l’évolution future des glaciers, ces véritables châteaux d’eau naturels. »

© Grégoire Eloy© Grégoire Eloy

Livre précieux

Fou de montagne et fasciné par la science qui alimente ses recherches photographiques depuis une dizaine d’années, Grégoire Eloy a découvert le travail du glaciologue au cours de la Résidence 1+2 à Toulouse dont il a bénéficié en 2021. L’envie de chausser ses crampons et d’aller sur le terrain l’a vite gagné, mais le lauréat du prix Nicéphore Niépce Gens d’Images 2021 a dû déchanter, l’étude scientifique s’appuyant exclusivement sur les images produites par Aster. Un million de clichés tout de même ! Des images pas si faciles à visualiser et pour lesquelles il a fallu faire tourner des supercalculateurs durant plusieurs mois pour traiter des fichiers de 30 cm de côté à 300 dpi. Confronté à une sélection de quelques milliers de vues, le photographe a choisi de se concentrer sur l’Arctique et l’Antarctique avec l’idée de composer un « pendant photographique » à l’étude du chercheur. « Ce sont les deux régions où les glaciers sont encore nombreux, c’est très beau. On trouve la banquise, on se balade en Islande, en Russie, en Alaska… » Dans un premier temps il en a retenu 500 pour réaliser un livre d’artiste qui a pris la forme d’une ramette de papier au format A4 édité en 5 exemplaires – dont un à la Maison européenne de la photographie (MEP). « Une unité tangible qui pouvait donner une idée de la masse d’images produites », précise l’auteur. Puis, avec la volonté de donner à voir ces images de manière moins confidentielle, il a conçu avec les éditions RVB Books un objet rassemblant 250 photos imprimées en risographie avec une couverture sérigraphié, tiré à cent exemplaires. Un ouvrage compact, massif, dont les images à fonds perdus s’offrent délibérément à la rêverie. « L’objet de la sélection, c’est la contemplation, précise Grégoire Eloy. Le chercheur n’a pas eu le temps de regarder les images, il a travaillé avec des algorithmes. La fonte des glaciers est inéluctable, il faut donc les contempler tant qu’ils sont encore là. Dans trente ou cinquante ans, ils n’y seront plus, il faut donc les voir, leur rendre visite, en profiter avant qu’ils disparaissent. » Sur la tranche du livre une suite de nombres intriguent : 1 000 000 (l’ensemble des clichés pris par Aster), 200 000 (les glaciers répertoriés dans le monde), 250 (la quantité de photos publiées dans le l’ouvrage), 20 (vingt ans, la durée de la mission, de 2000 à 2019), enfin 1/4 000 (premier volume sur les 4 000 qu’il faudrait éditer pour publier l’ensemble des clichés).

 

Retrouvez cet article dans son intégralité dans le Fisheye #57.

© Grégoire Eloy© Grégoire Eloy
© Grégoire Eloy© Grégoire Eloy
© Grégoire Eloy© Grégoire Eloy
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© Grégoire Eloy

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