Chapitre 5 : Faire entrer la vie dans l’objectif

07 mars 2019   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Chapitre 5 : Faire entrer la vie dans l’objectif

Écrivain et photographe, Amaury da Cunha nous propose de découvrir ses nouvelles images, qu’il met en relation avec des extraits de ses textes. Un parcours en toute liberté, où littérature et photographie dialoguent. Les photographies et textes de l’artiste sont à retrouver dans notre dernier numéro.

 – Pourquoi fais-tu des photographies ?
– Pour faire entrer la vie dans l’objectif.
– Ta propre vie ?
– En la photographiant, elle ne t’appartient plus du tout.
– Mais c’est totalement désastreux !
– Pas du tout ! Bien au contraire, cela me soulage. La photographie que je prends me débarrasse du bavardage. J’ai aussi grâce à elle le sentiment de me fondre silencieusement dans le monde. Je me prépare en douceur à disparaître.
– À mourir ?
– En quelque sorte. Mais rien de grave, je t’assure. 

Senlis, décembre 2013

Dans la forêt d’Halatte, les choses vues sont unanimement
 belles, pas de place pour l’image.
 Images futures: ritualisées, abrasives, mais littérales.
 Ce qui éclate aux yeux et cloue le bec à la pensée, ce pigeon.
 Dans ce rêve, un collectionneur de photographies explique à un journaliste que l’origine de sa passion coïncide avec la mort de sa mère.

© Amaury Da Cunha

 

Lettre d’Emmanuel Saulnier (qui éclaire et rassure), 2012

« Incisif, cela convient juste à ce que tu coupes dans tes photographies, et dans tes plans. Ce qui se coupe ou se stoppe ici et là. Laissant seul. Cela tranche. Cela concentre. Un temps, un. Et l’autre ? Que lui reste-t-il à faire ? Que lui reste-t-il ? Sinon cet arrêt sec face au vide. »© Amaury Da Cunha

 

Apinac, avril 1992

Quand j’étais enfant, en sautant pour me raccrocher à la branche d’un arbre,
je m’étais effondré, et ma tête avait heurté une pierre. En me réveillant, choqué et allongé dans l’herbe, je me souviens du visage angoissé de la maîtresse, et de ces trois questions qu’elle m’avait posées pour mesurer la gravité de ma chute : « Qui es-tu ? » « Où es-tu ? » « Quel jour sommes-nous ? »
 Ne pas savoir lui répondre m’avait plongé dans un état d’ignorance absolument délicieux. Les images que je recueille aujourd’hui ne sont sans doute pas étrangères à cette scène primitive. Elles ne se souviennent du monde que de très loin.

© Amaury Da Cunha

 

Notre-Dame-des-Champs

Écoutant à la radio la voix posthume de l’écrivain et psychanalyste Jean-Bertrand Pontalis, dont j’admire depuis peu les textes, j’ai été sensible à une littérature qu’il appelle « l’autographie » : le fait d’écrire à partir de sa vie, et non sur sa vie. Dans les séries d’images que je construis depuis quelques années, je ne montre jamais directement ma vie, je l’insinue, je la masque.
 Si elle n’est pas la vedette principale de mon travail, grâce à elle, je fais naître des motifs que je détourne de leurs origines. Les êtres photographiés perdent leur état civil, les lieux n’ont plus de géographie précise, et les objets troquent volontiers leurs qualités pour d’autres. Est-ce que pour autant je me retrouve dans la fiction ou bien l’imaginaire ? Non, je suis toujours et encore dans la réalité, plus près de son origine sauvage ou de son crépuscule.

© Amaury Da Cunha

 

Paris, 2009

J’ai déjà comparé le photographe à un flic attentif à la moindre irrégularité, mais ce matin, j’ai repéré dans le métro un pickpocket, son œil balayait l’espace comme une tour de contrôle. Je me comporte souvent comme lui lorsque je photographie. Voleur d’instants, d’objets, de passants, de nuages. Je ne dois pas être remarqué,
 je suis affamé, je me nourris du moindre objet qui ne vaut souvent rien, je me faufile entre les gens que je frôle et coupe en morceaux, je ramasse les restes, je traverse les vitrines, mais pourtant, malgré tout ce que j’ai pris, j’ai le sentiment d’être toujours aussi pauvre.

 © Amaury Da Cunha

© Amaury Da Cunha

Cet article est à retrouver dans Fisheye #34, en kiosque et disponible ici.

Explorez
À Arles, Jules Ferrini capture le noir solaire
© Jules Ferrini
À Arles, Jules Ferrini capture le noir solaire
À travers deux séries, Noires sœurs et Modern Sins, Jules Ferrini plie la lumière et le temps pour faire vibrer l’obscurité d’un...
26 juillet 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
Gangs de chats, pigeons dérobés ou espions : ces séries de photos sur les animaux
© Chloé Lamidey
Gangs de chats, pigeons dérobés ou espions : ces séries de photos sur les animaux
Chiens, chats, ours, éléphants ou encore pigeons, apprivoisés, sauvages ou même espions, parmi les séries présentées sur les pages de...
23 juillet 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Onironautica : les rêves lucides, l’IA des êtres humains
© Ludivoca De Santis
Onironautica : les rêves lucides, l’IA des êtres humains
Collections d’images venues de rêves lucides, Onironautica de Ludovica De Santis interroge, au travers de mises en scène intrigantes...
19 juillet 2024   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Le Jardin du Lunch : les boulettes de Proust
© Pascal Sgro
Le Jardin du Lunch : les boulettes de Proust
Entre nostalgie et humour, le photographe belge Pascal Sgro saisit, dans sa série en cours Le Jardin du Lunch, la bienveillante laideur...
19 juillet 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Jeux olympiques : ces séries de photographies autour du sport
© Cait Oppermann
Jeux olympiques : ces séries de photographies autour du sport
Ce vendredi 26 juillet est marqué par la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024. À cette occasion, nous vous...
Il y a 7 heures   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Transcendance par Kyotographie : promenade contemporaine au Japon
© Iwane Ai. A New River series, 2020. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.
Transcendance par Kyotographie : promenade contemporaine au Japon
À l’occasion des dix ans du Festival, Kyotographie investit les Rencontres d’Arles pour la première fois. L’exposition...
Il y a 9 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
À Arles, Jules Ferrini capture le noir solaire
© Jules Ferrini
À Arles, Jules Ferrini capture le noir solaire
À travers deux séries, Noires sœurs et Modern Sins, Jules Ferrini plie la lumière et le temps pour faire vibrer l’obscurité d’un...
26 juillet 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
Robin de Puy : partout, l’eau au centre du paysage
© Robin de Puy
Robin de Puy : partout, l’eau au centre du paysage
L'exposition Waters & Meer - Robin de Puy revient sur deux séries de la photographe néerlandaise. Un hommage aux populations rurales...
25 juillet 2024   •  
Écrit par Costanza Spina