Notre-Dame-des-Landes ou le métier de vivre est le fruit d’une collaboration entre Christophe Laurens, architecte et enseignant, ses élèves du DSAA alternatives urbaines, le photographe Cyrille Weiner et le graphiste Benoît Santiard. Publié par les éditions Loco, l’ouvrage, éthique et écologique, se concentre sur le mode de vie alternatif des habitants de la ZAD. Cet article est à retrouver dans notre dernier numéro.
Christophe Laurens, architecte et enseignant, a toujours perçu la zone à défendre (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes (Loire- Atlantique) comme un objet fascinant et à la dimension pédagogique évidente. Dès 2015, il évoquait, devant ses étudiants du diplôme supérieur des arts appliqués (DSAA) alternatives urbaines de Vitry-sur-Seine, le projet de se rendre sur le terrain. « La première annonce est toujours délicate, car la ZAD est très mal médiatisée, se souvient Christophe. Mais lorsque l’on désamorce les premières peurs, les élèves sont vite intéressés. Ils se sont d’ailleurs presque tous engagés dans le projet. »
L’organisation de cette étude insolite a alors commencé. « Nous étions face à l’éternel “problème du zoo”: personne n’a envie d’être regardé comme un animal curieux », précise l’architecte. Il fallait donc trouver la bonne manière d’entrer en contact avec les habitants de cet espace singulier. Quelque temps plus tard, le professeur et ses vingt élèves se rendent sur place pour réaliser des dessins d’architecture des constructions de la ZAD. Christophe Laurens y retournera une seconde fois en novembre 2017, accompagné du photographe Cyrille Weiner, qui s’intéresse depuis longtemps aux questions d’occupation et aux habitats éphémères. Se rendre à Notre- Dame-des-Landes était, pour ce dernier, à la fois un fantasme et un prolongement naturel de ses projets. « J’aime ces initiatives, ces communautés qui se forment, ces espaces de frictions, explique- t-il. C’est une sorte de lieu intemporel, qui pourrait tout à fait se trouver ailleurs. »
© Cyrille Weiner
Dessins d’architecture habités
Le premier jour, le groupe avait prévu une réunion afin d’expliquer son projet aux zadistes, mais personne n’est venu. Le travail commence alors un peu à tâtons, en frappant aux portes des cabanes. Un périple aléatoire et finalement très personnel. « Ce n’était pas évident, confie Christophe Laurens, car nous voulions réaliser des dessins d’architecture habités par des objets, des animaux… Nous entrions dans l’intimité de ces personnes. » Si le premier contact a été difficile, certains se sont pris au jeu malgré la méfiance ambiante et se sont même livrés aux élèves ; des mots conservés sous forme de citations et restitués dans le livre, à côté des dessins.
Pour le photographe Cyrille Weiner, la rencontre avec les zadistes se fait en douceur. « J’ai simplement suivi Christophe, c’était mon guide », raconte-t-il. En respectant les demandes des habitants – pas de visages, ni de plaques d’immatriculation –, le photographe s’approprie le territoire. La lumière automnale sublime ses photos. « Elle donne un côté incarné, pictural à mon travail, commente-t-il. J’aimais bien l’idée d’un lieu en suspens… Si l’on regarde attentivement, on remarque plein de détails qui permettent d’imaginer la vie: un objet qui traîne, un chemin construit… On devine la présence humaine. »
Mais une fois les dessins achevés et les photos prises, le projet d’édition destiné à Actes Sud tombe à l’eau. « Le graphiste Benoît Santiard, intéressé par notre travail, nous a alors présentés aux éditions Loco, qui proposaient de réaliser un ouvrage moins formaté, explique Christophe Laurens, mais ils n’avaient aucun financement. Il a donc fallu se lancer dans le porte-à-porte… » L’équipe se tourne finalement vers le financement participatif, une démarche qui engendre un franc succès : plus de 300 contributeurs ont permis de collecter 14000 euros. « Et puis, nous avons reçu beaucoup de messages d’encouragement… Cela nous a redonné de l’énergie », se souvient Christophe Laurens. Près de trois ans après les prises de vue, le livre voit enfin le jour. « Le fruit d’une véritable collaboration en termes d’édition, affirme Cyrille Weiner. La patte de Benoît Santiard a transformé le projet et en a fait un objet singulier. »
Dessin des étudiants du DSAA alternatives urbaines
Ceux qui essaient de vivre autrement
L’ouvrage Notre-Dame-des-Landes ou le métier de vivre vient juste de sortir, au cœur de l’actualité. « Il a été réalisé avant l’abandon du projet d’aéroport [le 17 janvier 2018, ndlr], mais il sort après, commente Christophe Laurens. Il est publié à un moment clé : alors que les zadistes qui souhaitent s’installer durablement tentent de trouver une manière de négocier avec les autorités. » Sobre et élégant, le livre de Christophe Laurens et Cyrille Weiner se démarque des autres représentations de la ZAD. « Toutes les photos prises de ce territoire montrent les lacrymos, les architectures vindicatives, la gendarmerie… énumère Cyrille Weiner. Je voulais simplement capturer cette notion d’habitat. Ces gens qui ont des projets agricoles et veulent vivre d’une manière respectueuse de l’environnement. J’espère mettre en lumière ceux qui essaient de vivre autrement. Dans notre société, où la relation à l’autre, à la nature, à la consommation est pervertie, eux mènent une expérience différente. Alors pourquoi ne pas les laisser ? »
Pour Christophe Laurens, cette volonté est l’essence même du projet. « La lutte contre l’aéroport était quelque chose d’assez simple, mais maintenant ce qui se passe sur le territoire est beaucoup plus complexe », affirme-t-il. Comment voulons-nous vivre dans ce monde ? Quelles sont les possibilités qui s’offrent à nous, de manière alternative ? « À son échelle – environ 200 personnes qui vivent sur 400 hectares, certains depuis plus de dix ans –, cette tentative constitue la meilleure des batailles », ajoute l’architecte. Une bataille faite d’expériences qui envisagent notre futur commun. Mais aussi une exploration des options possibles, désirables, organisées par une communauté. Malgré sa mauvaise réputation, la ZAD de Notre-Dame- des-Landes s’impose au final comme un territoire écologique, éthique et politique. « C’est un lieu efficace, qui pose les bonnes questions, conclut Christophe Laurens. Donne-t-il les bonnes réponses ? On verra… Mais en tout cas, il met le doigt là où ça fait mal. »
Notre-Dame-des-Landes ou le métier de vivre, Éditions Loco, 32 €, 224 p.
© Cyrille Weiner et les dessins des étudiants du DSAA alternatives urbaines
Cet article est à retrouver dans Fisheye #33, en kiosque et disponible ici.