Danseurs isolés ou communion collective ? Rebecca Topakian rassemble dans Infra – un ouvrage publié aux éditions Classe Moyenne – des moments d’abandon sublimes. Une réflexion sur la place de l’individu dans la communauté. Un projet à découvrir à Temple Arles, les 5 et 6 juillet.
C’est à Arles que nous avons rencontré Rebecca Topakian, une photographe française de 30 ans. Quatre ans plus tôt, en 2015, elle recevait son diplôme de l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles. C’est aussi durant les Rencontres de 2015, à Cosmos qu’elle a rencontré Romain Pruvost et Marie Lamassa, les fondateurs de la jeune maison d’édition Classe Moyenne qui a publié son premier ouvrage Infra. Un bel objet, qui l’année dernière était retenu au prix du Livre d’auteur. Voici donc une découverte 100% arlésienne. « Je développe une approche photographique plurielle », annonce Rebecca Topakian. Le 8e art ? Il est un outil indispensable pour sortir de sa zone de confort, pour dépasser ses peurs.
« Je n’aime ni la foule ni la techno », confie-t-elle. Pourtant, durant un an, elle a documenté des soirées parisiennes. « Cela me rassurait d’être dans l’action plutôt que d’attendre les bras croisés ». Rapidement, ces lieux sont devenus des endroit idéals pour « capturer les corps et la perte de soi ». De nature anxieuse, l’artiste a façonné son capteur afin de rendre sa présence invisible. « J’ai transformé mon appareil photo numérique pour qu’il soit sensible à l’infrarouge, j’ai développé un éclairage infrarouge. Cela fonctionne comme un flash, mais le procédé est invisible à l’œil humain. Avant la modification, les danseurs étaient conscients de leur image, ils posaient pour moi, ils pensaient que j’étais la photographe de soirée, et cela ne me plaisait pas ». Car Rebecca Topakian souhaitait photographier le monde de la nuit tel qu’elle le voyait, sans artifice.
Reconstruction des corps
Une posture, un geste et des corps qui se mêlent et s’entremêlent. « Je voulais créer de nouveaux corps », précise la photographe. Une volonté déclinée jusque dans la mise en page de l’ouvrage, puisqu’en manipulant Infra, le lecteur expérimente lui aussi. L’objet-livre se compose de quelques posters noirs interchangeables sur lesquels sont imprimés des photos argentées. Le tout relié par un élastique noir et emballé dans une enveloppe métallisée rouge. Une reconstruction des corps sobre et élégante. Mais Rebecca Topakian ne sublime pas seulement les corps qui s’abandonnent.
Passionnée par la philosophie, elle mène ici une réelle réflexion sur l’individu, la communauté et la notion de la communion. Un sujet abordé par Maurice Blanchot et Georges Bataille, ses écrivains mentors. À travers ses images mystiques et universelles, elle témoigne de la difficile communication entre les hommes. Des hommes, ici, désincarnés, désindividualisés, et bien silencieux. Comment donc échanger dans ce monde d’apparences et d’artifices ? La parole aurait-elle perdu de son sacré ? Doit-on persister à penser, comme Bataille, que la communication est la « négation de l’isolement » ? Dans notre société qui avance plus qu’elle ne progresse, la photographe propose un arrêt sur image sensuel et poétique et ancre le langage corporel.
Infra, éditions Classe moyenne, 20 € , 600 exemplaires.