Entre 2012 et 2016, Bieke Depoorter, jeune photographe belge documente le quotidien d’Égyptiens rencontrés par hasard. Son projet intitulé Mumkin/Who, lui ayant valu le Prix Levallois 2017, se prolonge avec un ouvrage délicieux. Décryptage.
Bieke Depoorter se rend pour la première fois en Égypte en décembre 2011. Fidèle à son approche singulière, elle se fait inviter chez des habitants pour y dormir et y fait des photos de leur vie quotidienne. Son statut de jeune femme l’aide parfois. Et si l’accueil est chaleureux, la méfiance règne. Il lui faudra une grande persévérance pour recueillir, en quatre ans, assez d’images. Chaque fois, elle posera la même question : « Mumkin sura ? » (ndlr, « je peux prendre une photo ? », en français).
Frustrée par ces rencontres parfois rapides, Bieke a décidé lors d’un ultime voyage de montrer ces images d’intérieur aux Égyptiens l’ayant accueillie. Chacun d’eux note leurs commentaires sur les tirages. Ainsi s’élabore un dialogue à plusieurs niveaux. Des individus qui ne se connaissent pas échangent grâce à une jeune photographe occidentale (Bieke Depoorter est née en 1986 à Kortrijk, en Belgique). Alors comme l’écrit joliment sa « complice » et traductrice, la journaliste Ruth Vandewalle : « en laissant ces personnes écrire sur le tirage, Bieke intègre la discussion à l’œuvre même : l’image fonctionne davantage comme une interprétation possible de la réalité, la réalité comme elle pourrait être. Ce n’est plus la seule vérité immuable. La photographie témoigne d’un court instant tandis que ces réflexions écrites le prolongent et sont le reflet d’une société en plein questionnement.»
Nazlat al-Samman, Le Caire, mars 2012 © Bieke Depoorter / Magnum Photos
Un beau défi éditorial
Mettre en page un tel projet complexe est un beau défi pour une maison d’édition. En choisissant d’imprimer les images, toutes horizontales, sur un papier dédoublé (dit « à la japonaise »), le livre gagne en épaisseur et en mystère. Des textes et phrases rédigés en arabe recouvrent les photographies et ajoutent une indéniable esthétisation. La répétition des motifs et la monotonie des situations vécues pourraient lasser le spectateur, mais les couleurs appuyées des images de Bieke Depoorter nous gardent en éveil. Et une fois les 43 images « digérées », on peut alors se plonger dans le cahier texte (qui est indépendant). On retrouve alors la traduction des textes écrits sur les photos (qui auraient peut-être gagné à être rapprochées des images elles-mêmes…) et un très instructif récit de Ruth Vandewalle qui nous permet de mieux saisir la portée de ce travail. On aurait aimé trouver aussi une interview un peu poussée de la jeune photographe de Magnum (Bieke Depoorter a intégré l’agence en 2016 après un passage éclair chez « Tendance Floue »). Mais ce petit manque ne gâche en rien notre plaisir devant un travail photographique ouvert sur les autres et, en même temps, parfaitement maîtrisé.
Bani Murr, Assiout, mars 2016 © Bieke Depoorter / Magnum Photos
Mumkin – Est-ce possible ? (Éditions Xavier Barral, 2017), couverture © Bieke Depoorter / Magnum Photos
Mumkin – Est-ce possible ?, Éditions Xavier Barral, 49 euros, 60 pages reliées à la japonaise, avec un cahier libre contenant le texte et les légendes traduites des images.
Image d’ouverture : Mar Girgis, Le Caire, octobre 2015 © Bieke Depoorter / Magnum Photos