Dans l’œil de Nanténé Traoré : des limbes de l’idée à l’évanescence de l’image

29 janvier 2024   •  
Écrit par Milena Ill
Dans l’œil de Nanténé Traoré : des limbes de l'idée à l'évanescence de l'image
© Nanténé Traoré
NanténéTraoré
« Ça sert à ça, aussi, faire des images : ça sert à mentir. »

Artiste visuel et auteur, Nanténé Traoréqui était revenu pour nous sur sa série Tu vas pas muter, une histoire de tendresse et de transition(s) – raconte ses obsessions à travers des images porteuses d’une narration puissante. Pour Fisheye, il commente l’une de ses œuvres marquantes, celle d’une figure illuminée qui s’évapore dans la nuit…

« J’avais oublié que j’avais appelé cette photo How does it make you feel. Comme pour la plupart de mes images, c’est un titre que j’emprunte à une chanson. Cette fois elle est tirée de 10 000 HZ Legend, du groupe Air, un album qui parle d’images, je crois, en tout cas j’en vois plein quand je l’écoute.

How does it make you feel (« que ressens-tu », ndlr) quand tu crées des images dans un monde qui en est saturé ? Je ne sais pas. Ça me donne envie de précision, d’exactitude, la plupart du temps. Peut-être que j’ai déjà ça en tête, que j’ai déjà le vocodeur qui chantonne cette nuit-là quand je prends les lampes torches de Nathan et que je lui dis : “J’ai une idée très précise mais je sais pas si ça va marcher”, et qu’il me suit dans les bois, avec Mahé et Célin. Dans mon (très) vieux boîtier, il me reste six poses, la pellicule est expirée depuis presque vingt ans, il fait nuit noire.

Quand je rencontre Nathan j’ai tout de suite envie de le prendre en photo. Le premier soir de notre résidence à la maison Artagon, il sort deux lampes torches colorées de sa sacoche : des artéfacts de joueur de RPG. J’aime bien, et alors qu’il part prendre des photos à l’iPhone du petit bois juste derrière, je me dis qu’il n’a peut-être jamais eu à les utiliser pour se prendre en photo, lui. Alors je le fais. D’abord dans ma tête, pendant plusieurs jours et de manière quasi obsessionnelle, la composition s’ordonne toute seule, obsédé par le nombre d’or et les lignes de fuite, par rendre toute chose géométrique, et dans l’image à venir les objets vont par trois. Un visage qu’on ne voit pas, une figure quasi christique dans des lumières artificielles, directes, violentes. Tout ce que Nathan n’est pas.

Ça sert à ça, aussi, faire des images : ça sert à mentir. Six vues dans la nuit électrique, c’est peu, la pose est longue, il ne bouge pas. La nuit non plus. Moi je ne sais plus ce que je fais, comme d’habitude, je calcule et je réarme. En appuyant sur le déclencheur, j’éprouve exactement le même soulagement que quand on se remet à respirer après une paralysie du sommeil, parce que l’image va pouvoir me laisser tranquille, maintenant, je vais enfin pouvoir penser à autre chose. Dans chaque image qui quitte les limbes de l’idée pour devenir réelle, la même joie et la même tristesse devant la pellicule : parce que l’image existe, et c’est très beau, et parce qu’elle est déjà un peu morte. »

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