Dans le Fisheye n°47, nous sommes allés à la rencontre de plus d’une vingtaine d’acteurs du monde de la photo, pour enquêter sur l’intérêt de suivre un cursus scolaire spécialisé. Un dossier nuancé confrontant les points de vue d’anciens étudiants, professeurs et spécialistes. Pour approfondir, découvrez ici l’entretien complet de Valérie Cazin, directrice de la galerie Binome, à Paris. Propos recueillis par Éric Karsenty.
Repérée comme galerie de photographie, je recevais au début (il y a une dizaine d’années) essentiellement des dossiers de photographes, y compris de photographes amateurs. Aujourd’hui, l’évolution est évidente, et le profil dominant est celui d’artistes issus de formations artistiques plus larges, essentiellement venant des beaux-arts. Dans la galerie, cela correspond aussi au profil de plusieurs artistes : Laurence Aëgerter, Thibault Brunet, Laurent Cammal, Marie Clerel, Laurent Millet, Baptiste Rabichon, Lisa Sartorio. Anaïs Boudot a fait l’ENSP Arles suivi du Fresnoy, comme pour Baptiste Rabichon à l’issue des Beaux-arts.
Mais plusieurs des artistes représentés ont des parcours d’autodidacte, comme Mustapha Azeroual, Laurent Lafolie ou encore Marc Lathuillière. Je suis moi-même une galeriste autodidacte, ne venant pas du monde de l’art ! De ce fait, j’ai peut-être moins d’a priori au regard de ces parcours singuliers et décalés, auxquels je reste attentive.
épreuve unique – 185×130 cm
Cyanotype sans contact sur coton froissé puis repassé et tendu sur châssis
© à g. Lisa Sartorio, à d. Marie Clerel
Infiltrer l’écosystème du monde de l’art
La photographie d’auteur est un domaine artistique comme un autre. Certaines écoles de photographie sont trop orientées vers des compétences techniques, sans développer une autonomie de pensée et de création. En cela, une école d’art ouvre plus de perspectives. Les élèves en école de photo qui se projettent dans une carrière d’artiste prolongent souvent leur cursus par des formations en école d’art. J’interviens souvent auprès d’étudiants, via des modules experts organisés dans des écoles de photographie, ou à travers des sessions de coaching (mentorat pour Eyes in progress) auprès de photographes en cours de carrière. J’insiste toujours sur la nécessaire connaissance et infiltration de l’écosystème du monde de l’art dans toutes ses composantes : artistes, collectifs, critiques, journalistes, commissaires, universitaires, institutionnels, galeristes, collectionneurs… Il est impératif de se confronter à tous ces regards attentifs au travail d’un artiste. Nombre d’auteurs s’étonnent de ne pas percer tout en installant leur pratique dans un certain isolement.
© Longo Mai
Au-delà de la formation de l’artiste, sa capacité à défendre son travail, à le diffuser, le faire circuler paraît essentiel. Les écoles forment davantage à la construction de certains bagages et outils comme la culture artistique, le dossier artistique, le portfolio, l’écriture, la scénographie d’exposition… Mais tout cela demeure une pratique constante et en perpétuelle évolution dans une carrière d’auteur, qui nécessite l’apprentissage d’une capacité d’analyse critique de son propre travail. Ce recul ne peut se faire que dans l’échange, l’écoute sur la réception de son travail. Au-delà de la formation initiale, réinitialiser plus tard des apprentissages par des stages, workshops qui peuvent déclencher de nouvelles perspectives, réorienter un travail. L’accompagnement d’un auteur paraît assez indispensable.
© Marie Clerel
© Edouard Taufenbach avec Régis Campo
© Baptiste Rabichon
© Thibaut Brunet
© Image d’ouverture : Thibaut Brunet