Elisa Baudoin et le mystère au service des sensations

07 janvier 2022   •  
Écrit par Ana Corderot
Elisa Baudoin et le mystère au service des sensations
Un après-midi de fin novembre, alors que les feuilles d’automne disparaissaient déjà dans le brouillard hivernal, nous avons rejoint Elisa Baudoin, son petit chien Lucien au bras, sur les banquettes sixties du Café Populaire, à Paris. Assise dans ce décor à l’esthétique marquée, aux couleurs franches et aux meubles en Formica, elle nous a dévoilé son amour pour le surréalisme, le cinéma d’Hitchcock et ses étranges voyages aux confins du songe et de la réalité. Armée d’un sourire sincère et d’une douceur expansive, Elisa Baudoin compose avec le hasard pour nous conter une histoire à la poésie latente et à la magie fulgurante. Entretien.

Fisheye : Peux-tu te présenter ?

Elisa Baudoin : J’ai 26 ans, je suis réalisatrice et photographe. Pour l’instant je me consacre à la création de clips audiovisuels, notamment dans le domaine musical. J’aimerais me tourner à l’avenir vers la fiction.

La vidéo t’a-t-elle emmené intuitivement vers la photographie ?

J’ai commencé par la vidéo de manière totalement autodidacte, lorsqu’un jour on m’a proposé de réaliser un clip. À l’époque, je n’avais jamais touché à une caméra de ma vie. L’idée de faire des storyboard, d’élaborer un plan créatif me plaisait énormément. J’ai donc acheté ma première caméra, et j’ai commencé à me former avec des tutoriels. Au fur et à mesure, je me suis créé un réseau autour de cette activité. Puis, je me suis dirigé vers la photographie. Ce n’était pas si évident au départ, car j’avais des cadrages de cinéma en tête et cela rendait difficile le passage au portrait statique. Je voyais constamment du mouvement. Depuis, j’ai l’impression de faire davantage de photographies que de vidéos, c’est devenu un besoin.

© Elisa Baudoin

© Elisa Baudoin

Derrière quel médium te sens-tu la plus à l’aise ?

C’est selon moi plus pratique d’avoir un appareil photo qu’une caméra pour capturer des instantanés. Avant, je filmais les clips en plus de les réaliser. Aujourd’hui, je délègue de plus en plus et je réfléchis davantage à mes cadrages. Je suis plus souvent avec mon appareil photo et je passe plus du côté réalisateur, dans l’histoire, dans le storyboard, et moins derrière la caméra.

Quelles sont tes plus grandes influences ?

Hitchcock, sans hésiter. D’abord en termes de lumières, puis de couleurs et d’ambiance. Récemment en photographie, Jack Davison et Elizaveta Porodina. Je me trouve pourtant à mille lieues des deux. Chez Elizaveta tout est extrêmement coloré, dans la texture de l’image il y a quelque chose de très superficiel, de très poussé et lorsque l’on prend Jack Davison, c’est tout l’inverse. C’est le minimalisme à l’état pur. Mais finalement, peu m’importe si cela se rapproche ou non de mon univers. Je m’intéresse à la transmission des émotions. Dès qu’une personne est sincère avec son univers, qu’elle véhicule des sensations à travers ses images, cela me touche.

Justement, quel est ton rapport aux émotions dans tes images ?

Je ne cherche pas à en mettre nécessairement dans une image. Je ne cherche pas non plus à savoir si cela va ressembler à ce que je dégage et à qui je suis. Si je capture une image et qu’elle me touche à l’arrivée, alors je la considère comme réussie.

Pour tes collaborations vidéo, te diriges-tu vers des artistes dont l’univers fait écho au tien ?

Cela m’arrive de refuser des projets lorsque je ne m’y retrouve pas. Pour autant, le contraire est aussi vrai. Si l’artiste ne me ressemble pas de prime abord, mais que je ressens une aura, une certaine sensibilité, une connexion, je peux y aller sans problèmes. Je me suis déjà retrouvée à travailler pour des artistes dits mainstreams car j’avais perçu en eux une grande beauté – dans ce que ces artistes renvoyaient aux gens, dans l’idée qu’ils réussissaient à toucher des personnes d’âges, de générations ou de classes confondues, et non simplement une élite ou des cultures niches.

© Elisa Baudoin

© Elisa Baudoin

Comment procèdes-tu lorsque tu dois réaliser un clip de musique ?

Pour commencer, j’écoute le morceau une dizaine de fois, pour essayer de comprendre où l’artiste a voulu en venir. Je visualise les couleurs qu’il avait en tête lorsqu’il a composé le morceau, ses inspirations. Une fois que j’ai plus ou moins les teintes, je le réécoute environ une cinquantaine de fois.

Après quoi, un flux d’images me vient et à partir de ces dernières je fais germer des idées. Une lumière qui traverse une pièce, un visage égayé… tout est bon à prendre. Je réunis l’ensemble sur Tumblr, et c’est ce qui me sert de base pour réaliser mes moodboards. Si jamais ce passage n’est pas concluant, je regarde des films, me refait les œuvres de cinéastes. Il me faut approximativement trois jours pour cette étape. Dans ces moments-là, je suis entièrement plongée dans ma bulle.

Comment crées-tu le dialogue avec tes artistes ?

Cela dépend des artistes avec qui je collabore. Pour certains, qui sont devenus des ami·e·s, il arrive qu’il ou elle me donne seulement un élément. Pour le clip Soft & Tender de November Ultra, l’artiste m’a simplement évoqué son souhait d’être vêtue d’une robe en tulle rose et d’une autre bleue. Pour Mon âme sera belle pour toi de Terrenoire, ils m’ont partagé leur envie d’une atmosphère aérienne, qu’on a ensuite fait évoluer.

Une véritable magie opère Avec Janie, dans nos collaborations, qu’on le veuille ou non. On parle assez peu au départ, je propose des choses et l’on défile. Pour son clip Piano Coccinelle, on voulait faire apparaître des fausses coccinelles, mais en vain. C’est au dernier moment, qu’une nuée de coccinelles a débarqué sur le set. C’était inespéré. À chaque fois, c’est une succession de synchronicités.

© Elisa Baudoin

© Elisa Baudoin

Comment fais-tu pour amener cette magie ?

Le secret c’est de mettre à l’aise l’interlocuteur, de ne jamais rentrer en conflit pour que la personne filmée se sente bien. C’est l’essentiel. Je crois aussi que lorsque je fais de la vidéo, j’aime laisser une part de hasard. Je ne veux pas me cantonner au storyboard. Il faut se laisser du mystère, attendre que les idées viennent et les tester. Ça demande d’accepter de s’octroyer du temps, de faire en sorte que la personne en face se sente détendue : c’est ce qui donne cette impression de spontanéité. On ne peut jamais savoir ce qu’il va passer sur un tournage, et cela implique d’être ouvert aux potentialités. Je suis pour l’accident maîtrisé.

Ton plus beau souvenir de réalisation ?

Mon idole

de Janie, réalisé en 16mm (un clip qui évoque une dernière danse rêvée avec son père défunt). Il faisait froid, c’était en février, les choses démarraient plutôt mal. Dès le départ, tout a été très intense. On était peu de personnes dans l’équipe, mais le morceau et l’idée ont charmé les participants. On a eu exactement ce que l’on voulait. Elle s’est littéralement donnée pour l’image, c’était très précieux. On a réussi à capturer cette extrême intimité.  Elle a pu extérioriser ce que certaines personnes ne réussissent jamais à faire, et elle l’a fait avec une authenticité et un courage fou. Ce morceau a soudé une amitié. La symbolique est tellement précieuse, et je pense que c’est difficile de faire mieux que cela. Pas nécessairement en termes d’images mais en termes d’émotions.

© Elisa Baudoin

© Elisa Baudoin

Te retrouves-tu confrontée aux pudeurs de tes interlocuteurs ?

De manière générale, je ne cherche pas à aller aussi loin, l’idée n’est pas de déstabiliser la personne qui est en face. Des réalisateurs comme Lars Von trier ou Hitchcock poussaient à bout leurs acteurs. C’est intéressant de voir comment, tirées de force en dehors de leur zone de confort, les personnes réagissent, mais ce n’est pas ma façon de faire.

Il y a bien Nicolas Ly, pour qui j’ai réalisé mon premier clip. Je lui ai fait faire un tas de choses délirantes. Je l’ai fait monter dans une mine d’amiante en Corse sous 45 degrés, je l’ai accroché avec des sangles sur les branches d’un hélicoptère, mis au bord d’une falaise ligoté à une chaise… C’est la seule personne avec qui je peux le faire, car il est réceptif.

Si tu devais choisir un de tes clips qui pour te représenter, lequel choisirait-tu ?

Midnight Zone

de Nicolas Ly, car c’est le premier où j’ai eu un peu de budget. Le CNC nous avait soutenus, et cela nous a permis d’aller au plus près de ce que l’on souhaitait. Avec du recul, il est presque indigeste, car il y a beaucoup de choses assemblées. C’est l’histoire d’un blackout causé par un trip hallucinatoire, ça pose le décor.

La collaboration de tes rêves ?

Je dirais avec l’artiste Björk, celle des clips réalisés par Gondry.

© Elisa Baudoin

© Elisa Baudoin

Et ton clip favori ?

Celui de Lady (Hear Me Tonight) du groupe de French touch Modjo. C’est un clip qui ne correspond absolument pas à mon univers et pourtant je suis complètement sous le charme. Il suit trois adolescents, au rythme de leurs bêtises, qui partent en road trip. Ce côté teenager des années 1990, très spontané, avec une caméra épaule insuffle de la nostalgie et m’emporte à leurs côtés. Sinon, je reste toujours accro aux nanars italiens, ceux de Dario Argento ou de Mario Bava comme Six femmes pour l’assassin. Au fond de moi réside cet attrait pour l’étrange, l’expérimental.

Des futurs projets ?

Oui, j’écris actuellement un court-métrage axé sur les émotions, la complexité de la pensée humaine et du cerveau humain. Je suis en ce moment dans l’élaboration du scénario. J’ai planté la graine et j’attends qu’elle grandisse. Ce que j’aime dans le cinéma, c’est partir de quelque chose de plausible pour le faire évoluer dans l’absurde. C’est ce que je veux retranscrire dans mon travail, dans mes photographies et mes clips. Je cherche à ce que cela puisse toucher tout un chacun.

© Elisa Baudoin© Elisa Baudoin

© Elisa Baudoin

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