Photographe et réalisatrice, Anne-Charlotte Moulard produit des récits visuels. Avec Le sentiment absent, série minimaliste, elle signe le portrait d’un village de bord de mer, dépeuplé.
« J’ai la vision d’une réalisatrice, je raconte une histoire par l’image ou le film. Je livre un état »
, déclare Anne-Charlotte Moulard. Formée aux Gobelins, à la Central Martins School de Londres et à Louis Lumière, l’artiste manie les médiums avec intelligence. « Je peux créer un projet à partir d’un story-board, ou lors d’une errance. Je dis souvent que je ne fais bien que ce que je sais faire, aussi je travaille toujours de la même manière, que ce soit dans des cadres personnels ou professionnels », explique-t-elle. Après avoir fait ses armes aux côtés de Rankin, la photographe, aujourd’hui freelance, alterne entre commandes et récits intimes, prenant soin de toujours produire des travaux qui lui ressemblent.
C’est lors de la réalisation d’un court-métrage, intitulé Early Bird, que naît l’idée du Sentiment Absent. « Je cherchais alors des cadres, pour des raisons purement cinématographiques. L’absence humaine était le sujet du film : une jeune femme arrive sur un lieu de vacances, hors saison. Tout est fermé, elle est seule », raconte l’auteure. Un synopsis qui lui rappelle de nombreux souvenirs.
L’Homme est la cité, la cité est l’Homme
Un bord de mer paradisiaque, un ciel bleu et un monde dépeuplé. Le décor de la série, architectural et poétique, évoque un territoire délaissé par l’Homme – un espace presque surnaturel. « J’ai grandi à la mer, j’ai toujours vu des gens venir et partir, les rues de mon enfance s’animer puis se rendormir. J’ai grandi au rythme de cette somnolence », explique Anne-Charlotte Moulard. On découvre une certaine tendresse dans les images de l’artiste. Un amour de ce lieu aux deux visages. « Le sentiment absent, c’est une ville de bord de mer en sommeil, qui attend l’homme. Elle a besoin de lui pour exister – sans lui, elle n’est que ruines », poursuit-elle.
Fidèle à son amour du cinéma, l’artiste pense chaque composition comme un court-métrage. Un récit aux multiples lectures, et à la fin ouverte. Hantée par une nostalgie familière, elle distille dans ses images des souvenirs, recrée « des mondes, par essence perdus ». Dans cette symétrie apparente, l’émotion apparaît par à-coup, et apporte au présent la profondeur de la mémoire. « De manière plus large, l’Homme est la cité, la cité est l’Homme. Ils craignent tous deux d’être oubliés, ou abandonnés pour toujours », confie la photographe. Une élégante carte postale d’un village assoupi.
© Anne-Charlotte Moulard