Elsa & Johanna : toutes les femmes de nos vies

05 avril 2023   •  
Écrit par Milena III
Elsa & Johanna : toutes les femmes de nos vies

Avec Ce que vaut une femme, le duo Elsa & Johanna déploie vingt-quatre portraits féminins, comme autant d’heures qui composent une journée. Au fil des pages, les temporalités se confondent, et l’imagination créatrice se libère.

Tout a commencé en 2020, lorsque la maison d’édition The Eyes Publishing décide de rééditer un traité d’éducation morale et pratique à destination des jeunes filles, datant du 19e siècle et intitulé Ce que vaut une femme. Pour l’illustrer, elle se tourne vers le duo féminin Elsa & Johanna. Une démarche saugrenue ? Au contraire : l’une et l’autre posent un regard contemporain et subversif sur ces injonctions d’une autre époque, et livrent avec ce travail – auquel elles accolent le sous-titre cryptique Les douze heures du jour et de la nuit – une œuvre à la fois engagée et insaisissable.

Elsa Parra et Johanna Benaïnous, jeunes autrices prolifiques qui nous avons déjà pu rencontrer à diverses occasions, poursuivent leur recherche autour de l’autoportrait et de la scénographie. Ce, afin de construire des narrations capables d’interroger l’identité, le genre et la mémoire collective. « Notre intention derrière ce projet était de redonner à la figure féminine son pouvoir d’exister pour elle-même et de réinsuffler des émotions à ces corps, complètement déshumanisés et désensibilisés dans l’ouvrage d’Éline Roche (auteur du traité, NDLR) », déclarent-elles. Le décalage est de taille entre ce que l’on attendait du livre et ce qu’on y découvre : ce sont vingt-quatre femmes fictives, photographiées dans le huis clos de l’espace domestique. Pourtant, elles ne s’occupent pas des tâches ménagères, elles n’ont pas été réduites à être au service des autres, refusent de n’être que douceur et compassion. Jouant avec les contrastes, ces portraits les situent dans un territoire intemporel, entre le songe et la réalité, entre le passé et le futur.

© Elsa & Johanna© Elsa & Johanna

Les femmes sont qui elles sont

Si on demeure libres d’imaginer la vie et les pensées de ces personnages, certaines manifestent, de façon évidente, une complaisance ironique, tandis que d’autres, une fatigue accablante face à des injonctions impossibles à tenir. Chacune de ces femmes « n'[a] que l’espace du vide devant elle, pour exprimer ses émotions et retrouver sa capacité à être elle-même », poursuivent Elsa & Johanna. Comme souvent avec ces deux artistes, ce sont des figures plongées au cœur de l’ennui que l’on surprend à travers ces photographies. Car c’est peut-être dans ces moments que leurs corps parlent le plus pour elles.

Beyond the Shadows, leur premier livre photo, conjuguait déjà 8e art et littérature. Avec cette nouvelle aventure esthétique, Elsa & Johanna souhaitent cette fois faire référence aux différentes représentations des femmes dans l’iconographie collective issue de tous les domaines – de Nan Goldin à Amélie Nothomb en passant par Virginia Woolf ou même Britney Spears. Pourtant, la force de Ce que vaut une femme réside avant toute chose dans la liberté accordée aux spectateurices de faire appel à leur propre imaginaire. « C’est ce ping-pong entre la mémoire individuelle et collective que nous cherchons à stimuler chez le ou la regardeur·se lorsqu’il ou elle découvre nos images », concluent-elles.

Toutes les femmes sont en Elsa & Johanna. À leurs yeux, elles ont chacune leurs propres désirs, leurs propres envies, et surtout leur propre manière de réagir aux injonctions qu’on leur fait subir depuis des siècles. Que leur fatigue de femme leur donne un âge avancé ou qu’elles choisissent elles-mêmes d’avoir quinze ans, qu’elles semblent étouffer dans leurs vêtements trop étroits ou qu’elles revendiquent une forme de noblesse dans leur posture et leur apparence, qu’elles se révèlent comme des revenantes ou qu’elles éblouissent par leur présence, dans l’ombre ou dans le feu d’une danse, ces femmes sont qui elles sont. « Elles ont juste la vie pour elles », écrit dans la préface Marie Robert, conservatrice en chef au musée d’Orsay. Et à  nos yeux de spectateurices, elles deviennent une source d’inspiration, pour leur force autant que pour leur pouvoir de résilience…

© Elsa & Johanna© Elsa & Johanna
© Elsa & Johanna© Elsa & Johanna
© Elsa & Johanna© Elsa & Johanna
© Elsa & Johanna© Elsa & Johanna
© Elsa & Johanna© Elsa & Johanna
© Elsa & Johanna© Elsa & Johanna

© Elsa & Johanna

Explorez
Kianuë Tran Kiêu : éclats de tendresse et narratives queers
© Kianuë Tran Kiêu
Kianuë Tran Kiêu : éclats de tendresse et narratives queers
Kianuë Tran Kiêu fait de l’art un espace de connexion et de transmission où la vulnérabilité devient une force. Chaque projet est une...
24 février 2025   •  
Écrit par Costanza Spina
Saint-Valentin : les photographes de Fisheye montrent d’autres visions de l’amour
© Nick Prideaux
Saint-Valentin : les photographes de Fisheye montrent d’autres visions de l’amour
Les photographes de Fisheye ne cessent de raconter, par le biais des images, les préoccupations de notre époque. Parmi les thématiques...
14 février 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Dans les songes dionysiaques de Hui Choi
© Hui Choi. The Swan's Journey.
Dans les songes dionysiaques de Hui Choi
Le photographe chinois Hui Choi traduit les contradictions des émotions humaines en images empreintes de lyrisme. S’inspirant de la...
14 février 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
13 séries photo qui offrent une vision moins idyllique de l’amour
© Nolwen Michel
13 séries photo qui offrent une vision moins idyllique de l’amour
Si les relations amoureuses font rêver les plus romantiques d’entre nous, pour d’autres, elles évoquent des sentiments bien moins joyeux....
13 février 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Aude Osnowycz dépeint une jeunesse queer et combattante en Géorgie
Andro Dadiani de la série Georgia : youth on the front line © Aude Osnowycz
Aude Osnowycz dépeint une jeunesse queer et combattante en Géorgie
À l’aune des élections présidentielles en Géorgie, la photojournaliste Aude Osnowycz met en lumière une jeunesse queer et engagée...
Il y a 9 heures   •  
Écrit par Marie Baranger
Photographie post-mortem : pont sensible entre vivant·es et défunt·es
© Hervé Bohnert. Exposition Les Immortels à la librairie Alain Brieux, photographe non identifié, sans titre, vers 1860.
Photographie post-mortem : pont sensible entre vivant·es et défunt·es
Le livre Posthume rassemble une centaine de clichés de défunt·es et d’objets funéraires issus de la collection de l’artiste Hervé...
06 mars 2025   •  
Écrit par Ana Corderot
Fisheye x La Poste : les noms des trois lauréats viennent d’être révélés !
© Alexis Barbe
Fisheye x La Poste : les noms des trois lauréats viennent d’être révélés !
La Poste vient de révéler les noms des trois lauréats de son grand concours. Celui-ci invitait les photographes à immortaliser leur...
05 mars 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
François Prost : cartographie japonaise des temples de l'amour
Love Hotel © François Prost
François Prost : cartographie japonaise des temples de l’amour
François Prost décline une collection photographique de façades kitsch et extravagantes des love hotels, lieux de plaisir charnel...
05 mars 2025   •  
Écrit par Marie Baranger