Sur le compte Instagram de curation photographique tough luck, la scène underground brille au rythme des flashs argentiques. Jeunesse en émoi, foule en délire… Immersion dans les coulisses emplies d’ivresse, du monde de la nuit.
Lieu de transgression, exutoire ou théâtre d’excès, le monde de la nuit attire et inspire autant qu’il effraie et – parfois – consterne. Pour Jordan Taylor, curateur indépendant, originaire de Newcastle, l’univers des raves party n’a plus de secrets. « Je crois que mon premier souvenir de fêtes remonte à mes 12 ou 13 ans. En Angleterre la consommation d’alcool débute assez jeune, on commence à aller en soirée chez les parents d’amis lorsqu’ils ne sont pas là, ou l’on se retrouve en douce dans des parcs à la tombée de la nuit », se souvient ce grand amateur de musique électronique avec amusement. En véritable amoureux du 8e art et du milieu alternatif, il lance en août 2020 − mois de l’apogée du confinement en Angleterre − un compte Instagram collaboratif de photographies argentiques : @toughluckuk. L’idée ? Archiver l’imagerie de la culture underground et partager l’essence de ces évènements à travers des instantanés bruts, parfois trash, mais grandement authentiques.
Rêver en rave
Depuis son lancement en 2020, tough luck diffuse son lot de scènes débridées et comptabilise aujourd’hui 39 700 abonnés. Amateurs ou professionnels, des photographes du monde entier soumettent leurs créations. « Je trouve intéressant de voir des sourires, des visages et des caractères finalement assez similaires. C’est prouver que nous sommes tous liés par cette joie dans la fête », explique-t-il. C’est également le ressenti d’Isabel Farrington − alias @bel___lens sur Instagram − étudiante dublinoise de 21 ans et photographe amatrice. « Lors du premier confinement, alors que les clubs étaient fermés et qu’il n’y avait pas grand-chose à faire, on s’est mis à fréquenter des raves illégales entre amis. J’ai testé le point and shoot pour capturer l’expérience et en garder des souvenirs impérissables », affirme-t-elle. Participante et témoin active de cette vie nocturne décomplexée, elle conçoit le médium comme un moyen de se connecter à autrui, de s’intégrer à la foule sans mettre les sujets mal à l’aise tout en restant dans l’élan festif. « Ce qui me plaît dans la photographie argentique ? L’émotion brute. J’aime figer la joie, la libération sans entrave, sans poses ni ressentis factices », ajoute-t-elle.
© à g. @hypocean, à d. @thepowershit / Instagram
Danser pour mieux transgresser
En pleine pandémie, le compte Instagram tough luck partageait les images des soirées illégales qui avaient lieu en sous-terrain. Ce flux visuel et intempestif permettait de dévoiler un besoin cruel de reprendre une vie normale, la nécessité de s’amuser sans contraintes. Dans la culture underground, tout tend à se défaire des codes aliénants de notre société. La nuit devient alors un espace libéré, fluide où les mœurs et les normes –quelques qu’elles soient – sont abolies. Et dans les clichés repostés par Jordan Taylor, les portraits figent des fragments d’évasion collective incisifs et crus. Corps en transe, amours éphémères, visages hurlant de joie ou de plaisir… Tout ici brûle de vie.
Mais derrière ces visages d’une jeunesse extravertie se cache aussi une violence avérée, volontaire ou forcée. C’est celle d’une consommation outrancière d’alcool ou de stupéfiant, comme pour échapper à la réalité. C’est également celle que de nombreuses personnes subissent à leur insu en soirées, en étant droguées ou harcelées. « Le monde de la nuit n’est certainement pas un lieu sûr. J’ai entendu tellement d’histoires d’agressions sexuelles ou de discrimination. Cependant, je n’en ai jamais été témoin ni victime. Les personnes ont tendance à penser que les raves sont des espaces effrayants et dangereux. De mon expérience, j’y ai surtout croisé des gens qui s’y regroupaient par amour de la musique », explique Isabel Farrington.
Et dans ce milieu marginalisé, souvent condamné, règne un air d’émancipation. Réunis autour d’un amour inconditionnel pour la fête et un dans un sentiment de communauté, chacun désire − l’espace d’une line up léchée − célébrer et danser jusqu’à en oublier le jour et son obscurité.
© à d. @_erinhanna / Instagram, à g. Isabel Farrington
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Image d’ouverture © Isabel Farrington / @bel____lens