Jusqu’au 25 août 2025, la Bourse de commerce, à Paris, accueille la première exposition monographique de Deana Lawson en France. Sur les cimaises se découvrent de grands formats qui montrent des individus évoluant dans des intérieurs modestes. Par leur aspect inhabituel, ces compositions cerclées de miroirs suscitent la réflexion du public.
Cela faisait quelque temps que Matthieu Humery, conservateur auprès de la collection Pinault, songeait à présenter l’œuvre de Deana Lawson en France. À son grand étonnement, en dépit de la reconnaissance de l’artiste aux États-Unis, aucune institution de l’Hexagone ne lui avait encore consacré de monographie. Il attendait toutefois le moment propice pour y remédier. Celui-ci est venu quand Emma Lavigne, directrice générale de Pinault Collection, lui a fait part de son envie de monter Corps et Âmes à la Bourse de commerce. Comme son nom le suggère, l’exposition se propose d’offrir une exploration de la représentation du corps dans l’art contemporain. Une quarantaine d’artistes donnent à voir les liens entre la matérialité humaine et l’esprit qui l’anime, au travers de sculptures, peintures, photographies, vidéos et dessins en grande partie issus des fonds du musée. Ce dernier possède déjà, par ailleurs, deux tirages signés Deana Lawson. Les planètes s’alignent alors : un accrochage satellite lui sera dédié. « Son travail correspond justement à cette psychologie qui associe le corps et l’âme, souligne le commissaire. Elle était ravie de pouvoir enfin montrer ses photographies à Paris dans un tel cadre, d’autant plus qu’Arthur Jafa, dont elle est proche, est également exposé. Les deux artistes se soutiennent et s’encouragent depuis longtemps. Leurs pratiques respectives dialoguent entre elles. »
Portrait d’une société africaine-américaine
Au premier étage de la Bourse de commerce se découvrent une quinzaine de grands formats qui retiennent l’attention du public. Une forme d’étrangeté se dégage des images. Un être solitaire, le pied appuyé sur un accoudoir, se contorsionne. Des courses sont éparpillées sur une table adjacente tandis qu’un rideau est coincé dans ce qui ressemble à un système d’air conditionné. Plus loin, un couple en tenue de mariage est couvert de billets de banque. Devant lui se trouvent deux bols remplis d’une soupe verdâtre. Un câble électrique traverse le champ. Une accumulation de tuniques blanches apparaît à l’arrière-plan. Un décalage se crée entre ces intérieurs bruts, authentiques, et la posture inattendue des sujets, qui apporte une certaine poésie à l’ensemble. « Il y a des canapés en cuir défoncés, des tableaux qui ne sont pas des chefs-d’œuvre, des rideaux à moitié tirés… C’est presque une typologie de ces intérieurs de la société africaine-américaine, et c’est ça qui est beau. On entre dans un univers tel qu’il est. Il y a une rigueur dans cette approche », souligne Matthieu Humery. Par leur taille, ces mises en scène transcendent ainsi l’intimité des lieux afin de faire voir des modèles qui s’affirment. Dans un cliché intitulé Daenere, une femme dénudée est allongée dans un escalier. Elle porte un bracelet électronique à la cheville et fixe l’objectif d’un regard fier. Sa manière d’être, sa position et le bouquet de fleurs représenté sur la toile située au fond rappellent l’Olympia (1863) d’Édouard Manet. « C’est comme si la servante noire de la peinture originelle avait été transposée à la photographie, suggère le commissaire. Deana Lawson a une belle connaissance de l’histoire de l’art, elle fait preuve d’un grand sens de la composition. Même s’il n’est pas forcément voulu, le rapprochement est intéressant, car il est évocateur. » Il faut dire qu’au fil de ses projets, l’artiste multiplie les échos aux mouvements picturaux et soulève notamment la portée politique du corps noir au sein de l’espace diasporique.
La suite de cet article sera à retrouver dans Fisheye #71, bientôt disponible en kiosque.