La photographe et journaliste Fabiola Ferrero retourne au Venezuela et ravive la mémoire collective de son pays qui entre 2014 et 2020 a subi en plein fouet une crise économique extrême et un exode important.
« Le Venezuela était un pays rural avant l’arrivée de l’industrie pétrolière. Les changements ont été aussi rapides que bouleversants. Tout s’est passé si vite que nous n’avons pas eu le temps de nous adapter à cette nouvelle vie qu’on nous forçait à accepter. Soudain, nous étions le cœur des investissements économiques du monde, ces changements ont considérablement complexifié notre relation à notre propre identité », confie la photographe et journaliste Fabiola Ferrero. Entre 2014 et 2020, le territoire vénézuélien a perdu 75 % de la valeur de son PIB, s’imposant comme l’un des cas les plus extrêmes d’effondrement économique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. En août 2023, Amnesty International estimait à 7,71 millions, soit un quart de la population totale du pays, le nombre de Vénézuélien·nes ayant préféré fuir. Un exode animé par l’espoir d’une vie meilleure, loin des crises et de la censure d’un gouvernement s’acharnant à faire taire les médias indépendants et voix dissidentes. Pour l’artiste, ces départs sont autant de pertes, ces répressions autant de deuils qu’elle inscrit dans ses images et ses mots : « Mes parents, mes frères, mes ami·es proches, et puis moi. Un·e par un·e, nous sommes parti·es. J’ai vu mon foyer se vider, mes souvenirs se brouiller, comme si je regardais mon enfance à travers une fenêtre embuée », écrit-elle en introduction de sa série I Can’t Hear the Birds.
Mémoire familiale et mémoire collective
Lorsqu’elle entreprend ce projet, de retour dans son pays d’origine en 2017, c’est justement ce lien familial qu’elle commence par interroger, en s’éloignant des villes pour visiter les espaces ruraux qui ont été ceux de sa jeunesse. Un périple intime qui aiguille ses premières investigations et qu’elle décide ensuite de mettre de côté pour imaginer une narration plus universelle. Pourtant, une volonté commune unifie ce travail au long cours : « Les outils que j’utilise, je les ai appris lorsque j’étudiais le journalisme. Bien que mes photos soient davantage métaphoriques et que j’aborde à travers elles davantage de symboles, je m’appuie toujours en réalité sur de longues recherches, sur quelque chose de plus rationnel. Pour moi, la première partie ne peut pas exister sans la seconde », explique-t-elle. Ainsi, au cœur de la mémoire familiale comme de celle, collective, du Venezuela, Fabiola Ferrero creuse, fait sonner les voix, déterre les fragments d’un passé qui nous aiguille et qui ancre ce qu’il nous faut comprendre. Croisant ses propres images à des articles de journaux, des textes de propagande qui décrivent le Venezuela comme un nouveau Latin Boom aux possibilités sans fin, et des albums photo de plusieurs individus, l’autrice enquête et nous expose ses trouvailles. « On voit, même dans les albums personnels, l’impact de l’histoire commune. On y découvre la vie dans les champs pétroliers, la sensation de grandeur qu’on recherchait avidement… C’était primordial, pour moi, d’appréhender la mémoire collective par le prisme de ces manières propres, intimes, individuelles de comprendre notre pays », précise-t-elle.
Cet article est à retrouver dans son intégralité dans Fisheye #72.
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