Sujets insolites ou tendances, faites un break avec notre curiosité. Quand les tenues de camouflage s’illuminent d’une nuance de rose choquante, c’est une alerte. Dans Show of force, le photographe David Degner questionne la présence des militaires et forces de l’ordre dans l’espace public.
« Les armes à feu sont efficaces même si elles ne sont pas utilisées ». Inutile d’être un·e expert·e pour confirmer le propos de David Degner, un photographe installé à New York. Un soldat peut contrôler une population de sa simple présence. Droit dans son uniforme, l’arme au bras, un regard ou un déplacement agressifs suffisent à rassurer les un·e·s et effrayer les autres. Ouvrir le débat. Tel est l’objectif du photographe qui a travaillé au Moyen-Orient, et notamment en Égypte, durant dix ans. Il a vécu quelques révolutions depuis l’intérieur. « Je me souviens des premiers jours sur place…Cela me faisait bizarre de voir des soldats et des chars dans les rues, et puis un mois plus tard, tout cela était devenu très normal. Ils se fondaient dans la masse ». Sans vivre de tels conflits, le constat est là : la démonstration de force ne choque plus, ou du moins est rentrée dans le quotidien des citadins. Dans les couloirs de métro, les gares ou encore en pleine rue, une instance suprême veille sur nous. Dans son ouvrageVilles sous contrôle, Stephen Graham explique que l’une des caractéristiques remarquables de l’espace urbain contemporain est son intersection croissante avec l’espace militaire : en même temps que des pratiques ouvertement militaires s’exportent dans les villes, la nécessité de livrer bataille en milieu urbain remodèle les stratégies guerrières. Et dans cet espace de vulnérabilité, de nouveaux outils de surveillance et armes apparaissent et brouillent « dangereusement les frontières juridiques et opérationnelles qui séparent la police, le renseignement, et l’armée, la guerre et la paix, les opérations locales, nationales et internationales ».
Désarmer le débat
Non, les images de David n’ont pas été réalisées durant une campagne de sensibilisation contre le cancer du sein, et il s’agit encore moins d’un coup de communication lancée par l’entreprise Mattel pour faire la promotion d’une nouvelle Barbie. Et oui, le travail de Richard Mosse en République Démocratique du Congo a largement influencé David Degner. « Il a réussi à mettre en lumière une guerre souvent ignorée. Ses choix esthétiques ont soulevé d’autres questions en moi. Alors que les manifestations Black Lives Matter ont éclaté à la suite du meurtre de Georges Floyd, et que la police et l’armée ont été appelées, j’ai choisi de témoigner de la militarisation de nos villes. J’ai imité les films de surveillance spéciaux utilisés par les militaires au milieu du siècle dernier. Les pellicules avaient une coloration rose pour délimiter la végétation de la non-végétation ». Il ne s’agit pas ici de déceler l’ennemi planqué dans la jungle, mais de mettre le curseur sur la performance des forces militaires dans les villes américaines. De questionner cette présence anormale, bref, de désarmer le débat. « Les armes sont parfois nécessaires, mais il ne faut pas les glorifier ni s’en satisfaire », conclut l’auteur.
© David Degner