
Entre New York et les salles de concert, la photographe française Gabrielle Ravet explore les communautés de fans comme on scrute une mythologie moderne. Ses images, traversées de flashs, de sueur et de lumière, donnent chair à une dévotion souvent raillée, mais profondément vivante.
Tout a commencé par un boîtier emprunté à son père. Adolescente à ce moment-là, Gabrielle Ravet prend en photo son quotidien, ses ami·es, ses vacances et des festivals. « J’avais cette envie d’immortaliser l’instant, même les plus anodins, mais aussi de capturer l’énergie des concerts auxquels j’assistais dès mes 13 ans », se souvient l’artiste. Née à Paris en 1997, Gabrielle Ravet vit aujourd’hui à New York, où elle s’est formée au prestigieux International Center of Photography. Avant cela, un détour par Londres et des études théoriques l’ont conduite vers sa principale source d’inspiration. « Je me suis plongée dans des recherches sur les théories sociologiques liées aux fans et aux communautés, ce qui a nourri une passion profonde », explique-t-elle. Ces années de recul ont forgé le regard d’une photographe qui ne se contente pas de documenter seulement des corps ou des concerts, mais des liens puissants au sein de divers cercles de fans.
Son univers tient en quatre mots : « nostalgie, intensité et mémoire collective ». Sa démarche oscille entre la précision d’un cadrage réfléchi et la spontanéité d’un instant volé. Qu’elle travaille en numérique ou en argentique, en couleur ou en noir et blanc, Gabrielle Ravet cherche avant tout à saisir l’énergie qui anime ses sujets. « Je vois la photographie comme un vaisseau pour visualiser mon monde culturel, dans lequel j’ai été immergée dès mon adolescence, mélangeant nostalgie et émotions intenses en immortalisant une communauté à laquelle j’ai un accès très particulier », confie-t-elle. En effet, l’artiste a elle-même grandi dans l’univers de My Chemical Romance, un groupe de rock alternatif américain. « Être fan occupait près de 80 % de mes pensées et de mon quotidien, en ligne comme dans la vie réelle », déclare l’artiste. Les forums de fans, sur Twitter et Skyrock, et les salles de concert où le groupe performe sont rapidement devenus des refuges. Mais, au fil du temps, cette dévotion se détache peu à peu. « C’est pour ça que j’ai voulu documenter cet univers, presque comme un acte de mémoire. Je voulais aussi rendre visible la force de ces communautés, souvent ridiculisées par la culture populaire. »



La foi des fans
Face à l’objectif de Gabrielle Ravet, les fans affichent leur dévotion sans hésitation, que ce soit dans leur chambre, dans la file d’attente ou dans la fosse du concert de leur groupe préféré. Les bras levés vers la scène, parfois en pleurs, le plus souvent en extase, les visages sont irradiés de lumière et les esprits remplis d’émotion. Pour la photographe, ces espaces sont des lieux liminaux, suspendus entre réel et transe. Son travail permet également de documenter toute une génération. Celle d’une jeunesse qui se réinvente dans la passion, entre codes esthétiques et revendication d’identité. Maquillage, tatouages, cheveux colorés… Les portraits offrent une voix importante à ces communautés souvent jugées. « J’aime avoir la possibilité de donner du pouvoir à des minorités par l’image », précise-t-elle. Car les groupes de fans sont aussi des espaces d’émancipation : « Il y en a beaucoup qui découvrent leur identité de genre ou sexuelle à travers ces communautés. Ce qui m’a toujours fascinée, c’est la manière dont la passion peut devenir une force capable de lier profondément des inconnu·es. »
Cette idée de dévotion traverse tout son travail. « On réduit souvent les fans à une obsession romantique, mais pour moi, c’est un amour spirituel et collectif », déclare Gabrielle Ravet. Ses photos, saturées de lumière et d’émotion, traduisent avec justesse cette intensité. « Une amie s’est tatoué le nom du groupe sur le bas du dos, un “tramp stamp”. Symboliquement, cette image est significative de mon univers : la liberté, la dévotion, l’esthétique par le flash, mais aussi l’instant, alors que je l’ai prise dans une chambre d’hôtel avant un concert », se souvient-elle. Ce tatouage, autrefois jugé vulgaire, devient ici manifeste de liberté féminine, signe d’une réappropriation des corps. Aujourd’hui, Gabrielle Ravet documente les lives de My Chemical Romance, entre autres groupes, à travers les États-Unis, appareil en main, entre le pit photo et la fosse. Et c’est non sans émotion qu’elle revient précisément sur leur concert, cet été, dans le New Jersey, État d’origine du groupe : « Lorsque mes clichés ont été publiés par Rolling Stone, Frank Iero, le guitariste que j’adulais à l’époque, m’a envoyé un message pour me dire qu’il était très fier de moi. Je n’ai plus cette relation d’adulation, mais je pense toujours à l’adolescente que j’étais qui collait des posters de lui partout. Si je fais tout ça, c’est pour la rendre fière. » L’ancienne fan devenue photographe ne colle plus de posters, mais continue de saisir la ferveur qu’elle connaît si bien.







