
Avec IUZZA. Goliarda Sapienza, Francesca Todde propose un livre qui explore l’imaginaire de l’autrice sicilienne, sans chercher à simplement l’illustrer. Comment raconter cette écrivaine, cette actrice, cette femme insoumise, disparue il y a trente ans, longtemps ignorée, aujourd’hui traduite dans plus de quinze langues et reconnue sur la scène littéraire internationale ?
Sept années. C’est le temps qu’il a fallu à Francesca Todde et Luca Reffo, cofondateurs de la maison d’édition indépendante Départ Pour l’Image, pour imaginer IUZZA, paru en 2024. Conçu comme une association de photographies et de textes, le livre invente de nouvelles lectures de l’œuvre de Goliarda Sapienza – autrice, entre autres, de L’Art de la joie (son travail le plus célébré), Destins piégés ou du recueil de poèmes Ancestrale. Ensemble, les deux artistes ont élaboré une construction mouvante : de petites images imprimées, collées sur des panneaux de bois et déplacées au gré de leurs gestes. « C’est ainsi que la séquence a commencé à se former à partir des mouvements de l’un ou de l’autre », raconte la photographe milanaise.
Sur les pas de Goliarda Sapienza
Tout commence avec une rencontre déterminante : Angelo Pellegrino, mari de Goliarda Sapienza. C’est lui qui ouvre à Francesca Todde les portes de la maison romaine où vécut l’autrice, où l’on peut trouver ses manuscrits et ses archives familiales. « Il m’a également indiqué les endroits précis où la chercher, éparpillés dans tout le sud de l’Italie », confie-t-elle. S’engage alors un long périple à travers la Sicile et de nombreuses villes italiennes – Rome, Naples, Positano… L’artiste y découvre à la fois des lieux intimes – la maison de l’enfance à Catane, l’appartement romain de la via Denza –, et des lieux de mémoire collective – le Teatro Massimo Bellini, le château de Donnafugata, le Monastère de Saint-Nicolas-l’Arène… Mais aussi des paysages puissants, telluriques ou marins, comme l’Etna ou la réserve naturelle des îles Cyclopes. Autant d’endroits qui dessinent la cartographie, réelle et sensible, d’un imaginaire extrêmement intense.
Dans IUZZA, les images alternent entre l’infime et le monumental. Un détail de main sculptée, érodée par le temps, s’impose en couverture comme une entrée dans la matière des récits de l’écrivaine ; un vêtement devient la trace d’une présence ; des oiseaux naturalisés, figés sous une cloche de verre, suggèrent la fragilité de la mémoire… ailleurs, la mer scintille au travers des branches d’un pin. Enfin, une archive de corps enlacés, allongés au soleil, fait affleurer la sensualité et la vitalité. Ce changement d’échelle s’inscrit dans le prolongement d’une tension qui était chère à Goliarda Sapienza, où le corps se retrouve confronté au paysage, jusqu’à se confondre avec ce dernier. La mer, très présente dans ses écrits, abonde aussi dans le livre. « La phrase par laquelle commence le livre, c’est-à-dire : “D’où suis-je venue ? d’un abysse terrible de mondes anciens…” (Carnets, ndlr), définit le lieu d’où proviennent les images, la mer », détaille Francesca Todde. Fondamental pour Goliarda Sapienza, l’élément marin était pour elle une thérapie : « Dans les pages de garde d’un livre d’Henry James dans sa bibliothèque, elle avait écrit, presque comme s’il s’agissait d’une prescription médicale : “20 juillet, 27 bains” », raconte la photographe.



Une écrivaine insaisissable
Mais comment approcher une figure qui résistait tant aux images ? « Le point le plus compliqué de la recherche photographique a été celui-ci : comment parler d’elle sans la définir, sans fermer la ligne de son portrait, pour ne pas l’enfermer dans une idée ? », s’interroge Francesca Todde. La structure du livre, en sept chapitres pensés comme une « boussole », n’a lieu d’être que pour dégager des moments, des résonances, une énergie vivante, et non pour retracer une biographie. Cette construction, qui pourrait suggérer une hagiographie, évite pourtant l’écueil de figer l’écrivaine comme une sainte ou une icône. Un seul portrait, en noir et blanc, la montre souriante, presque distraite. À celui-ci répond, en face, un détail pris à notre époque contemporaine : la manche rayée d’une veste posée sur un accoudoir, qui apparaît comme un fantôme des gestes du quotidien. « Elle n’aimait pas la photographie, être photographiée surtout, confie-t-elle. Je ne sais pas ce que le 8e art pourrait apporter à son travail. Dans mon cas peut-être qu’il donne aux lecteurs un indice pour mieux comprendre son travail à partir du contexte visuel – géographique, culturel, architectural, naturel. »
Transformée en outil d’intuition, la photographie trouve ici son propre chemin pour évoquer la vie et l’œuvre de Goliarda Sapienza. Paysages méditerranéens, sculptures et intérieurs habités de présences disparues, entre tant d’autres fragments poétiques, font naître une émotion à la hauteur de la puissance littéraire de l’autrice. « Je suis très heureuse lorsque des personnes qui ne connaissent pas son œuvre sont émues en voyant les images, conclut Francesca Todde. Si certaines images parviennent à créer ce contact, alors peut-être qu’une petite contribution à la cause a été apportée. »
 
        2024
Textes : Luca Reffo
Photographies : Francesca Todde
165×230 mm
280 pages
52€








 
        
        
        
             
        
        
        
             
        
        
        
             
        
        
        
             
        
        
        
             
        
        
        
             
        
        
        
             
        
        
        
             
        
        
        
             
        
        
        
            