Nous poursuivons notre engagement auprès des photographes ukrainien·nes en leur offrant un espace de témoignages. Aujourd’hui, c’est Lada Solovyova, photographe ukrainienne publiée il y a un an, qui prend la plume.
« Papa : “Bonjour tout le monde, je vous aime”
Mon frère : “Bonjour”
Maman : “Bonjour, comment s’est passée ta nuit ?”
Désormais mes journées commencent par la lecture de ce genre de messages.
Le 24 février, je me suis réveillée avec le bruit de quelques explosions. Atmosphère effrayante. Au fond de moi, je me disais : “Quelque chose de grand et terrible s’amorce…” J’ai décidé d’aller me coucher en pensant : “Peut-être que tout sera fini demain matin ?” Puis un raid aérien, l’achat de nourriture pour un mois, la recherche d’abris anti-bombes, les appels avec ma famille, les larmes, la panique, l’incertitude…
J’ai passé la première nuit dans un abri anti-bombes dans le centre de Kiev. Puis j’ai gagné l’Ukraine occidentale.
D’une certaine manière, la guerre a permis de réaliser des rêves. Mais à quel prix ? On dit que “la guerre fait peur”, je pense que le terme “douleur” décrit mieux cette situation. La première fois est certes effrayante, on souffre partout et toujours, même dans un endroit sûr.
La guerre donne l’avantage de comprendre ce qui est important pour vous et qui se soucie de vous. Elle enlève la capacité de planifier et de fixer des objectifs. Elle nous vide de nos sentiments et de nos émotions. Elle accélère tous les processus…
“Vous aimez-vous ?
– Maintenant, pas vraiment. Avant la guerre, oui.”
Les gens partent… Et je suis partie. C’était très dur, j’ai pleuré… Je ne sais pas quand je pourrai voir mes proches, mais je sais qu’ils ne s’inquiètent pas pour moi.
“Ils restent à cause des gens, ils ne veulent pas partir et se sentent utiles.”
Je me lève, Poutine se tient devant moi. Je le regarde, mais mes yeux ne le perçoivent pas, c’est comme si je pouvais voir à travers son corps. Tous les mots ont déjà été dits, il sait tout. Je ne veux pas qu’il meure, ce serait trop facile. Je préférerais qu’il vive ce que vivent les Ukrainiens – je pense que ce serait une bonne punition. »
© Lada Solovyova