
Consciemment ou non, des photographes du monde entier travaillent sous l’influence de Martin Parr. Mais pour la communauté photographique de Bristol, dans le sud-ouest de l’Angleterre, où l’artiste vécut de 1987 à sa mort, le 6 décembre dernier, il était un phare, un monument. Pour lui rendre hommage, Fisheye publie les clichés les plus « parresques » d’une poignée d’entre eux.
De la station balnéaire rouillée de New Brighton aux supérettes en banlieue de Manchester, en passant par le Parthénon ou la tour de Pise, Martin Parr a créé un monde. Un univers de couleurs saturées, de personnages excentriques ou d’individus lambdas métamorphosés le temps d’un clic en œuvres d’art. Un univers que d’autres aperçoivent parfois. « Souvent, je marche dans la rue et je vois du Martin Parr, s’amuse le photographe Ashley Bourne. Quand un vieil homme monte sur une échelle pour réparer son toit et entre dans le même cadre que des roses rouges. Ou devant une femme de ménage presque submergée de chaises miniatures dans une école primaire. Ce sont des scènes de tous les jours, mais c’est beau. »
À la foire
Les photos de Martin Parr sont à la fois réalistes et surréalistes. Chez lui, le surréalisme vient du réel. Il n’apparaît parfois que succinctement, depuis un angle particulier, sous une lumière précise. Ou de façon plus évidente, lors d’évènements où les humains du quotidien dévoilent les traits les plus fantasques de leur personnalité. En guise d’exemple, le photographe Joseph Horton cite les foires rurales où il a réalisé une série de clichés. Sur l’un d’eux, chaque personnage vêtu d’un débardeur participait à « un concours de tonte de moutons ». Comme son inspiration, il aime « scruter les gens qui regardent quelque chose. Parce qu’ils baissent leur garde. On voit leurs émotions. Et ils remarquent moins que tu les observes ». Éternellement amusé, le regard de Martin Parr n’était jamais condescendant mais toujours pétri d’auto-dérision. Comme s’il était lui-même le sujet de la photo. « Son humour fait que l’on dirait qu’il appartient au monde qu’il photographie, affine-t-il. Cela fait que la personne qui regarde la photo a l’impression d’en faire partie aussi. J’allais à cette foire tous les ans. Mon père y présentait des moutons. Mais je pouvais quand même percevoir l’humour, l’absurdité inhérente à cet évènement et à la culture britannique en général. »



Haricots en boîte
Vue à travers Martin Parr, la culture de son pays se retrouve aussi dans les détails de la société de consommation. Quand on lui demande de montrer ses clichés les plus influencés par l’artiste disparu, Chris Hoare envoie l’image d’une femme admirant des boîtes de conserve. « Il était toujours connecté à la culture du moment, estime ce dernier. Cette photo montre la culture britannique actuelle qui, je crains, peut être représentée par des supermarchés à bas prix. » Ce cliché fut saisi sur East Street, une artère de Bristol également présente dans l’œuvre de Martin Parr. « J’ai photographié cette rue pendant quatre ans, enchaîne Chris Hoare. J’y croisais fréquemment une dame qui poussait un chariot sur le trottoir. Si Martin l’avait vue, je suis sûr à 100 % qu’il l’aurait photographiée. C’est le type d’excentricités qui l’attirait : une vieille dame qui a la confiance suffisante pour pousser un caddie partout où elle le veut. » Elle porte un élégant manteau rose pâle qui fait ressortir les couleurs vives de ses lèvres, de ses pommettes, du mur de briques derrière elle. Pour lui, Martin Parr, qu’il connaissait un peu, croyait fermement « que la vie de tous les jours valait le coup d’être photographiée ». Et donc, d’être vécue. À Bristol comme partout.
Trouver de la joie
Quand elle a commencé la photo, Florence Bass admet « qu’elle n’allait pas très bien ». C’est en voyant le monde à travers l’appareil qu’on lui avait offert qu’elle s’est sortie de sa dépression. « Depuis, j’exagère toujours un peu les couleurs, développe-t-elle. Cela vient directement de mon amour pour Martin Parr. Il savait trouver de la joie dans des moments banals. Saturer les couleurs de la photo permet de montrer cette joie aux autres. C’est particulièrement nécessaire dans ce pays, qui peut parfois être très sombre. » Mais qu’importe la géographie. L’artiste a aussi appliqué cette technique sur un cliché d’une sexagénaire qui avait décidé de quitter le Yorkshire pour vivre au sein de la communauté lesbienne d’une île grecque. « On sait qu’elle est Anglaise parce que sa peau est légèrement brûlée. » Le monde a perdu Martin Parr mais son monde n’est pas perdu. Parce qu’il n’est pas accessible par un trou noir ou un portail temporel : il est ici, là, partout, tous les jours, accessible à tous. Il suffit d’ouvrir l’œil.

