How I Met Jiro : les marges d’Osaka révélées par Chloé Jafé

13 juin 2024   •  
Écrit par Milena III
How I Met Jiro : les marges d'Osaka révélées par Chloé Jafé
© Chloé Jafé
© Chloé Jafé

Avec How I Met Jiro, livre édité conjointement par The(M) Editions et IBASHO, Chloé Jafé clôt une trilogie en trois chapitres qui conte une longue immersion au Japon. Prenant pour décor le quartier de Kamagasaki, dans l’Ouest d’Osaka, connu pour les grandes révoltes qui s’y sont produites, ce dernier tome révèle des rencontres fortuites qui ont durablement marqué la photographe.

« Lorsque j’ai rencontré Jiro, nous nous sommes tout de suite “reconnu·es”. Il a été mon guide. Il y a eu ensuite des jours d’errance dans le minuscule quartier de Kamagasaki, puis la découverte de Ramu, Kanamé, Taiki, Taka et les autres. Beaucoup de discussions pour essayer de comprendre. Aujourd’hui, Jiro est devenu un ami cher, et il n’y a pas deux jours qui passent sans que nous nous écrivions », explique Chloé Jafé. C’est ainsi que l’autrice de How I Met Jiro raconte sa rencontre avec cet ancien chef yakuza de Tokyo aujourd’hui teneur de stand de yakitori (poulet grillé, ndlr), qui l’a autorisé à entrer dans son quotidien et à le capturer. Puis, est advenue la rencontre avec le quartier à l’apparence sombre et à l’esprit anarchique, et avec ses habitant·es, qui lui témoignent une belle humanité ainsi qu’une vraie solidarité. « J’ai eu envie de les révéler et de leur rendre hommage », confie-t-elle.

L’ouvrage s’inscrit dans une trilogie intitulée SAKASA (« contraste » en français). Il fait suite de I Give You My Life et Okinawa Mon Amour, et la clôt admirablement. Chacun des volets qui la composent montre des Japons autres, dans lesquels elle s’est pleinement immergée pendant plusieurs années. Tout d’abord, celui des femmes de la mafia japonaise, généralement laissées dans l’ombre. S’ensuit un long apprentissage de la langue et de la culture japonaises, et en particulier celle des yakuzas. Après un passage sur l’île d’Okinawa, où elle rend compte, dans un registre très intime, d’une histoire d’amour impossible, elle publie ce chapitre final regroupant celles et ceux qui ont trouvé refuge à Kamagasaki après avoir rompu avec la société japonaise pour diverses raisons : « la perte de leur emploi, un passage en prison, une reconversion post-banditisme, une transition de genre, des violences conjugales… », énumère-t-elle, avant de préciser : « Les injustices, la cause des femmes et les marginaux·les sont des sujets qui me donnent une énergie profonde et me poussent dans ma pratique ». Loin de se concentrer uniquement sur l’univers du crime organisé, Chloé Jafé part donc à la recherche de celles et ceux qui tentent de vivre sans travail et de composer avec les possibles. 

© Chloé Jafé
© Chloé Jafé
© Chloé Jafé

Des corps tatoués aux photographies ornées

Capturés dans un noir et blanc étrangement silencieux, les clichés de Chloé Jafé – manuellement marqués, à la manière de tatouages – laissent passer une lumière nouvelle qui séduit le regard et décuple l’émotion. La couleur, toujours vive, s’immisce parfois entre eux, rappelant qu’ils s’inscrivent dans le présent et non l’intemporalité. Si elle confie avoir relativement peu d’intérêt pour les travaux d’autres photographes, la peinture possède en revanche à ses yeux une grandeur, « une complexité inégalable ». Pour apporter une réelle profondeur à ses œuvres et à ses sujets, elle n’hésite d’ailleurs pas à ajouter certaines couches à ses clichés – par la peinture, l’écriture ou le collage. Une manière habile de pallier aux limites du médium, et d’ainsi prouver qu’il n’y a pas de réel, mais seulement des réalités dans lesquelles on se projette.

La complicité entre la photographe et ses modèles, que l’on devine en parcourant How I Met Jiro, révèle des histoires d’amitié sincères tissées dans un temps long. Dans un pays où la pudeur règne et où il n’est pas non plus d’usage de montrer ses sentiments, les images de Chloé Jafé trouvent leur puissance dans leur persistance à montrer les corps. L’artiste raconte en particulier celui de Jiro, qui dit les épreuves du passé et le pouvoir de résilience. « Toutes les lignes sur son visage nous racontent le temps et la vie qui sont passés. Malgré tout il a toujours l’oeil vif, et son regard de guerrier », raconte-t-elle. Recouverts de motifs symboliques, les corps tatoués des hommes ayant appartenu au clan des yakuzas sont sublimés par le regard bienveillant de l’autrice, témoignant ainsi d’une époque et d’une société.

© Chloé Jafé
© Chloé Jafé
© Chloé Jafé
© Chloé Jafé
© Chloé Jafé
© Chloé Jafé
© Chloé Jafé
À lire aussi
Le Japon dans l'œil des photographes de Fisheye
© Momo Okabe
Le Japon dans l’œil des photographes de Fisheye
Qu’iels y habitent, le visitent, où l’imaginent dans des envolées visuelles oniriques, les photographes présent·es sur nos pages sont…
06 avril 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Ken Domon : les nuances de l’identité japonaise
Ken Domon : les nuances de l’identité japonaise
Jusqu’au 13 juillet, la Maison de la culture du Japon présente la première exposition française dédiée à Ken Domon, figure emblématique…
28 avril 2023   •  
Écrit par Léa Boisset
2023
The(M) Editions et IBASHO
26x20cm
103 p.
92.46€
Explorez
Mode et séduction : Austn Fischer allie art et Tinder
© Austn Fischer
Mode et séduction : Austn Fischer allie art et Tinder
Installé à Londres, Austn Fischer puise dans les ressorts de la communauté LGBTQIA+ pour interroger les notions traditionnelles de genre....
Il y a 3 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Eleana Konstantellos : faire vrai pour voir le faux
Chupacabras © Eleana Konstantellos
Eleana Konstantellos : faire vrai pour voir le faux
Eleana Konstantellos développe, depuis 2019, de nombreux projets photographiques mêlant mise en scène et recherche...
19 novembre 2024   •  
Écrit par Hugo Mangin
La sélection Instagram #481 : par ici la monnaie
© Suzy Holak / Instagram
La sélection Instagram #481 : par ici la monnaie
Est-ce un vice de vouloir posséder de l’argent et des biens ? Bijoux ou billets de banque, tout élément tape-à-l’œil attire le regard des...
19 novembre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
Les images de la semaine du 11.11.24 au 17.11.24 : la politique dans le viseur
L’ancien président Donald Trump avec ses fils, des membres du parti et des supporter·ices lors de la convention nationale républicaine à Milwaukee, dans le Wisconsin, le 15 juillet 2024 © Joseph Rushmore.
Les images de la semaine du 11.11.24 au 17.11.24 : la politique dans le viseur
C’est l’heure du récap ! La politique et les questions sociétales sont au cœur de cette nouvelle semaine de novembre.
17 novembre 2024   •  
Écrit par Marie Baranger
Nos derniers articles
Voir tous les articles
Mode et séduction : Austn Fischer allie art et Tinder
© Austn Fischer
Mode et séduction : Austn Fischer allie art et Tinder
Installé à Londres, Austn Fischer puise dans les ressorts de la communauté LGBTQIA+ pour interroger les notions traditionnelles de genre....
Il y a 3 heures   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Elie Monferier : visible à la foi
© Elie Monferier
Elie Monferier : visible à la foi
À travers Sanctuaire – troisième chapitre d’un projet au long cours – Elie Monferier révèle, dans un noir et blanc pictorialiste...
Il y a 8 heures   •  
Écrit par Lou Tsatsas
Visions d'Amérique latine : la séance de rattrapage Focus !
© Alex Turner
Visions d’Amérique latine : la séance de rattrapage Focus !
Des luttes engagées des catcheuses mexicaines aux cicatrices de l’impérialisme au Guatemala en passant par une folle chronique de...
20 novembre 2024   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Richard Pak tire le portrait de l’île Tristan da Cunha
© Richard Pak
Richard Pak tire le portrait de l’île Tristan da Cunha
Avec Les îles du désir, Richard Pak pose son regard sur l’espace insulaire. La galerie Le Château d’Eau, à Toulouse accueille, jusqu’au 5...
20 novembre 2024   •  
Écrit par Costanza Spina