Dans son livre I Dream of Dust, paru aux éditions Temper, Ben P. Ward rend hommage à son Colorado natal. Il tourne son objectif vers les grandes plaines de l’État et sur ceux qui vivent ce territoire au quotidien, le temps d’une vie.
C’est une évidence. Un peu partout dans le monde, le retour au territoire est plus qu’une tendance. À entendre les différents discours qui annoncent la prochaine campagne présidentielle française, ce regain du local est même un des enjeux de la course. C’est vrai dans l’Hexagone comme aux États-Unis. Les projets photographiques s’inscrivant dans des périmètres circonscrits, souvent oubliés, se multiplient. Bien que conscient du penchant familier à documenter l’Amérique « laissée pour compte », Ben P. Ward espère renverser nos tendances à romancer, à la nostalgie. Avec son dernier livre, I Dream of Dust, il tente d’examiner l’influence de la géographie sur l’identité. Il s’intéresse aux interactions entre un environnement et ses habitants. Comment l’un agit-il sur les autres et inversement ? À quel point se reflètent-ils ?
Pour Ben P. Ward, cette terre – les plaines orientales du Colorado, à l’ouest des États-Unis – est celle de sa jeunesse. « J’ai passé une grande partie de mon enfance en extérieur, dans les campings avec ma famille ou en itinérance avec mon frère, se souvient-il. J’avais toujours un boîtier pour capturer nos voyages. J’ai travaillé sur des documentaires internationaux, mais j’ai vite réalisé que je préférais me concentrer sur des lieux plus proches de chez moi. ». Pendant plus de deux ans, ce jeune américain venu du journalisme a arpenté chaque week-end ces étendues immenses qui peuvent paraître hostiles aux profanes. Pourtant, elles abritent une population qui a su dompter ce décor sauvage… À moins que ce ne soit l’inverse.
Une exploration photographique
Fasciné par Joël Sternfeld ou encore Robert Frank, ces photographes du road trip qui dévoilèrent les multiples visages de l’Amérique, Ben P. Ward entend lui aussi révéler une des facettes méconnues de son pays. « Je voulais produire quelque chose de distinctement américain, confie-t-il, d’autant que nous étions dans une période intéressante. Alors j’ai sondé de nouveaux territoires et j’ai appris à me familiariser avec les gens qui y vivent. Me concentrer sur un lieu précis m’a aidé à démarrer le projet. » Il nous offre ainsi une véritable exploration photographique. Un séjour où transparaissent l’isolement, la tension et la masculinité au sein une région hors du temps.
Grâce à sa technique et au format 4×5, Ben P. Ward appuie cette sensation d’évanescence. Perturbateur, I Dream of Dust supprime le contexte, la couleur et les repères visuels familiers. Ces images demandent au spectateur d’oublier toute interprétation, de ne pas idéaliser ou critiquer. Nous pouvons alors nous laisser pénétrer par ces espaces calmes et qui poussent à la méditation pure et simple. Ce qui est vrai pour les paysages l’est aussi pour les portraits. À travers eux et bien qu’ils soient souvent serrés, c’est tout un panorama qui transparaît. C’est toute la cohérence du projet de l’auteur que de faire un parallèle réussi entre des hommes et le milieu où ils vivent.
Un hommage sincère
I Dream of Dust possède également une nappe invisible, celle d’un État divisé. L’autoroute qui coupe le Colorado du nord au sud et que Ben P. Ward traversera pour réaliser sa série est une frontière entre deux univers bien différents. D’un côté les montages de l’est, fortement peuplées et politiquement progressistes ; de l’autre des paysages plats avec une population rurale et plus conservatrice. « Le Colorado est littéralement entré en éruption au cours de la dernière décennie, analyse le photographe. Denver (capitale de l’État, NDLR) est classé parmi les grandes villes à la croissance la plus significative des États-Unis. Cela a rendu les choses difficiles pour les personnes qui y ont vécu toute leur vie. »
La fracture existant entre les métropoles du pays et les zones rurales s’est accentuée au fil du temps et des gouvernements. S’il en a bien conscience, Ben P. Ward se défend de prendre position ou de stigmatiser telle ou telle population. « Il y a toujours eu des écarts statistiques importants – en termes de politique, de religion, d’âge, de revenus… Ce fossé s’est accru. Je pense que la politique des quatre dernières années a certainement été un des facteurs qui ont suscité l’intérêt pour la région. Cela étant dit, je me suis fait un devoir de ne pas créer d’œuvres trop engagées. » Il faut donc considérer I Dream of Dust comme un ouvrage sensible, contemplatif, mais aussi un hommage sincère d’un enfant du pays.
I Dream of Dust, éditions Temper, 45$, 104 P.
© Ben P. Ward