La photographe française diplômée de l’École de Condé, Flore Prebay a fait le choix de se spécialiser dans le portrait de mode. Dans sa série Illusions, finaliste du Prix Picto de la Photographie de mode 2023, elle dénonce les idéaux physiques et traite de la dysmorphophobie, un trouble de la perception du corps.
« Un jour, un modèle m’a dit qu’elle mangeait, car elle n’était pas assez fine et qu’elle souhaitait devenir mannequin grande taille, pour rentrer dans les standards », se souvient Flore Prebay, photographe de 25 ans. Ce partage terrifiant rappelle qu’il y a encore bien des efforts à faire pour atteindre l’inclusivité dans la mode. Qu’est-ce que le beau ? Certainement pas un corps parfait. Et d’ailleurs la perfection n’existe pas. Elle n’est que le résultat d’idéaux fantasmés depuis des décennies. Ceci n’est pas nouveau, mais pourtant, certain·es continuent de suivre (quand ce n’est pas aduler) des influenceurs·euses, d’adopter les derniers filtres sur les réseaux sociaux ou, pire encore, de recourir à la chirurgie esthétique. « Le corps est un sujet qui me hante et me poursuit ». Que les choses soient claires, la photographe française combat depuis toujours les diktats de la beauté et sa série Illusion – finaliste du prix Picto de la Photographie de mode 2023 s’intéressant à la dysmorphophobie (préoccupation pour un ou plusieurs défauts de l’apparence physique inexistants ou légers entraînant une souffrance importante et/ou affectant le comportement, ndlr) – s’inscrit dans une étude au long cours. « Je ne veux pas qu’on oublie ces fashions victimes », explique celle qui a par exemple shooté pour Miranda Banana. « Cette marque de vêtement féministe et inclusive travaille avec des femmes, pour des femmes et dépasse les standards de beauté en mettant en avant des tailles 52, des modèles racisées ou encore des femmes âgées de plus de 60 ans. Bref, elle révèle le panel humain », précise l’artiste. Mais avant de signer ce genre de photo engagée dans son studio Dépoli, fondé il y a deux ans avec son mari directeur artistique, il y a eu des rencontres et des évènements particulièrement décisifs.
Nous avons besoin de sincérité
Tout a commencé à ses quinze ans. Une terrible chute à cheval l’amène à arrêter l’équitation. « Quand on m’a annoncé que je ne pourrais plus remonter – je pratiquais ce sport depuis mes 5 ans – j’ai photographié mon cheval encore et encore, la vie du centre équestre et les compétions auxquelles je ne pouvais plus participer ». Au lycée, elle étudie au sein d’une section théâtre, et très vite, elle photographie plus qu’elle ne monte sur le plateau. « Durant ma terminale, j’ai eu la chance de suivre Christophe Raynaud de Lage, photographe officiel d’institutions, spécialisé dans le spectacle vivant. Avec lui, j’ai développé ma technique mon œil, et j’ai appris à traduire la mise en scène en images. » De Sarah Moon, dont elle est particulièrement fan, elle apprend qu’il est possible de transmettre de la sensibilité dans une photo de mode. « Une photo peut être subtile, et esthétique alors même que c’est de la commande. La pratique de Paolo Roversi confirme cela aussi », ajoute-t-elle. Tout est question d’équilibre, et de révélation. « C’est surement pour cela que j’aime tant le travail de Sarah Moon. Nos techniques sont certes différentes – elle utilise le Polaroid – je joue moi aussi avec cette idée de révélation. J’utilise la pose longue : c’est-à-dire que pendant quatre secondes, j’ai un écran noir dans mon viseur… Je ne sais pas ce qui se passe ni ce qui va surgir ! J’aime cet instant de surprise, de hasard, de flottement… » L’engagement de Charlotte Abramow, la douceur dans le rapport au corps chez Isabelle Chapuis, Flore Prebay salue aussi le travail d’Elizaveta Porodina ou encore de Chiron Duong avec qui elle partage un certain amour pour le flou et le mouvement.
« Lorsque j’ai amorcé ma réflexion sur la dysmorphophobie, j’ai veillé à ne pas tomber dans le cliché. En plus du travail autour du tissu qui me permet de cacher des parties de corps, j’ai recours au flou afin de déformer légèrement. J’interviens ensuite sur le tirage en peignant des textures sur le fond et les corps pour ajouter une couche supplémentaire et renforcer cette idée de camouflage », explique la metteuse en scène de son propre théâtre. Sur le plateau, des particuliers comme des professionnel·le·s – elle collabore notamment avec des acteurices et des danseur·ses – jouent avec cette artiste qui sait mettre à l’aise et qui prend le temps d’échanger. En parcourant ces images, on ne ressent aucune forme de drama, et la mélancolie qui émerge est toute douce, en équilibre avec un profond engagement : « La mode est un univers qui me fait rêver, et qui continuera à me faire rêver, mais il y a un véritable travail d’éducation à faire auprès de celles et ceux qui travaillent pour les marques, cocher des cases ne peut plus suffire, nous avons besoin de sincérité », conclut la photographe, qui a réussi à accrocher le regard du jury du prestigieux prix de photographie et de mode.