L’artiste chinoise Nyo Jinyong Lian, récemment diplômée des Beaux-Arts de Paris et lauréate du prix Jeunes Talents 2025 des Agents Associés, revisite le conte Les Habits neufs de l’empereur pour composer Trust Me. Cette série, faite de fables autonomes, interroge les normes sociales et les dynamiques de pouvoir avec étrangeté et humour, et révèle des interstices favorables à l’émergence de nouveaux dialogues. Rencontre.
Fisheye : Qu’aimes-tu dans la photographie ?
Nyo Jinyong Lian : Je suis fascinée par le moment figé. Cela traduit précisément ce qui, dans une scène, n’est pas encore arrivé, ce qui est en train de progresser. Grâce à la photographie, je peux narrer une histoire, la mettre en scène et insuffler l’imagination ou provoquer la critique.
Pourquoi ta série s’appelle Trust Me ?
Tous les jours, on est confronté·es aux règles et systèmes de notre société, aux structures qui nous gouvernent. Beaucoup de choses changent à notre époque, nos regards sur l’image en particulier. J’ai cette impression qu’on est devenu·es méfiant de la vérité. Alors Trust Me, c’est un peu comme un slogan, une façon d’inviter à me croire et à croire aux relations humaines, mais peut-être, avant tout, à trouver sa propre subjectivité. Face aux incertitudes, mes images convoquent une sensation. Elles ne donnent pas une vraie réponse, plutôt, elles laissent les spectateur·ices s’approprier l’histoire et les vérités qui en découlent. Je veux créer un dialogue. Il faut échanger, il faut imaginer. Sinon, on est coincé·es dans la rationalité et on répète les erreurs.
Tu navigues entre plusieurs cultures et références pour composer tes images. Quelles sont-elles ?
Je suis Hakka, une minorité présente en Chine. À l’école, je devais communiquer en mandarin, mais à la maison, on parlait hakka, je trouvais déjà cela bizarre. Puis je suis venue en France, la question de la langue a perduré, mais je me suis surtout confrontée à un autre pan de mon identité : être une femme asiatique et queer dans une culture étrangère. Mon travail s’inspire de cette expérience personnelle. Il présente le sentiment d’étrangeté, les forces contradictoires qui me traversent. C’est comme si je me battais contre des pouvoirs invisibles. Ces derniers sont comme Les Habits neufs de l’empereur (écrit en 1837 par Hans Christian Andersen, ndlr). Pour les voir, on est obligé·es de les imaginer. J’ai montré ces habits « invisibles » dans différentes petites histoires autonomes qui aujourd’hui composent Trust Me. C’est un moyen d’interroger les conventions sociales.
Ces petites histoires, comment les construis-tu et que dénoncent-elles ?
Je faisais des recherches, je prenais des notes, je dessinais, de la même manière qu’on réalise un film (Nyo Jinyong Lian est par ailleurs venue en France en 2015 pour étudier le cinéma, ndlr). Sur mes photographies, ce ne sont que des femmes ou des personnes queers de ma génération, qui vivent dans un pays qui n’est pas le leur – comme moi. Et puis j’ai invoqué la psychologie féminine. Je suis devenue une sorte de détective, au point où j’ai placé toutes mes images sur un mur, comme des indices, que j’ai connectées pour construire Trust Me, qui agit tel un livre de conte de fées. Chaque histoire est séparée, mais l’ouvrage est un univers à part entière. Ces fables interrogent, elles déroutent, elles révèlent les absurdités du quotidien, elles critiquent les normes de genres.
La fiction sert-elle ainsi le réel ?
En tant que femme ou en tant qu’étrangère, je trouve qu’il y a toujours un décalage entre moi et la société. Comment puis-je définir cette relation ? Comment comprendre les moments que je ne saisis pas ? Dans ce monde contemporain qui nous aliène, comme (re)devenir un individu à part entière ? Avant de connaître la réponse, je choisis de rester à distance. Cet éloignement, c’est un refus de jouer au jeu de la société patriarcale, car je n’ai pas la force de me battre contre un tel système. Inspirée par les femmes et les personnes de la communauté LGBTQIA+, je préfère faire société à côté, ouvrir un espace, un dialogue qu’on peut représenter par la fiction. Et l’image vient dévoiler ces espaces, les magnifier. Nous sommes des humains, car nous pouvons imaginer et vice versa, alors créons ces espaces, élargissons-les, imposons-les face à la norme imposée.
Dans le cadre du ()FF des Rencontres d’Arles, découvrez les travaux de Nyo Jinyong Lian présentés dans l’exposition collective Sous les paupières closes à la Fisheye Gallery jusqu’au 5 octobre 2025.