L’exposition Iran, Année 38 raconte les quatre dernières décennies du pays à travers le prisme de la photographie. Une fresque ambitieuse sur les racines historiques et les tensions d’une société complexe et créative, grâce aux travaux de soixante-six photographes. Ce sujet fait parti du dossier de notre dernier numéro, spécial Arles.
Cela devrait être assurément un des temps forts de l’été arlésien. Exposé à l’église Sainte-Anne et accompagné d’un catalogue co-édité par Textuel et Arte Éditions, Iran, Année 38 est un projet ambitieux. Il est porté par deux figures emblématiques de la photographie iranienne, la galeriste Anahita Ghabaian (fondatrice de la Silk Road Gallery à Téhéran en 2001) et la photographe Newsha Tavakolian, membre de Magnum Photos (voir leurs portraits croisés en encadré).
En mettant en parallèle l’histoire contemporaine de leur pays avec celle de la photographie, les deux commissaires ont voulu brosser un portrait nuancé de l’Iran, loin des raccourcis médiatiques. Leur panorama de la création photographique réunit les œuvres de soixante-six photographes, dont les plus jeunes n’ont même pas 30 ans. Cette année marque le 38e anniversaire de la révolution qui a renversé la dynastie Pahlavi et a donné naissance à la République islamique, instaurée par l’ayatollah Khomeyni, leader de l’opposition, le 1er avril 1979.
Avant cette date, la photographie n’existait pratiquement pas. À compter de cet événement, le médium éclot véritablement, propulsé par les demandes des agences et de la presse étrangère. Et la guerre contre l’Irak, à partir de septembre 1980, soit moins d’un an et demi après, constitue un second point de bascule. Le pays est alors attaqué par l’armée de Saddam Hussein, épaulée par les pays occidentaux qui redoutent une contagion de la révolution islamique et un possible leadership de l’Iran sur la région. « Avec la guerre, les photographes étrangers quittent l’Iran, explique Anahita Ghabaian dans un entretien publié dans l’ouvrage qui accompagne l’exposition. Les sujets sont multiples pour les photographes iraniens qui, durant huit ans, apprennent et se perfectionnent. »
Du front au salon
Toute une première partie de l’exposition relève du reportage en noir et blanc, mais dans la section La guerre du front au salon, les images journalistiques – elles aussi en noir en blanc – dialoguent avec des mises en scène en couleur. Car au-delà du travail de documentation des huit années de guerre, l’événement laisse des marques profondes dans la mémoire collective.
« La guerre a pénétré le salon de chaque Iranien, témoigne Anahita. Chacun a gardé un souvenir direct ou indirect de ces événements », très entretenus par le système politique et les médias, à travers la commémoration et l’iconographie autour des martyrs. Avec sa série La Vie moderne et la Guerre, Gohar Dashti transpose le quotidien de jeunes couples dans des paysages de champs de bataille. Les projections d’images de soldats dans des intérieurs domestiques par Saba Alizadeh évoquent de façon très forte cette imprégnation de l’histoire dans l’intimité (dans la série La Lumière et la Terre).
Babak Kazemi évoque le martyr des habitants de Khorramshahr – ville frontière avec l’Irak meurtrie par le conflit – en superposant des photos de personnes et de paysages sur des plaques indiquant le numéro des maisons. Dans des mises en scène très fortes – un couteau ensanglanté à côté d’une assiette, des escarpins rouges voisinant avec des godillots de soldats –, Shadi Ghadirian apporte un contrepoint décalé sur ces années de souffrance. Très engagée sur le terrain féministe, l’artiste s’est fait connaître avec sa série Like Every Day dans laquelle des femmes portant un tchador avec un ustensile de cuisine (théière, fer à repasser, râpe à fromage…) à la place du visage.
© Arash Khamooshi
© Kaveh Kazemi
À g .© Abbas Kowsari ¦ À d. ©Azin Haghighi
Image d’ouverture extraite de la série Espace public, 2015 © Morteza Niknahad & Behnam Zakeri