Iran : l’insurrection en images

06 juillet 2017   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Iran : l'insurrection en images

L’exposition Iran, Année 38 raconte les quatre dernières décennies du pays à travers le prisme de la photographie. Une fresque ambitieuse sur les racines historiques et les tensions d’une société complexe et créative, grâce aux travaux de soixante-six photographes. Ce sujet fait parti du dossier de notre dernier numéro, spécial Arles.

Cela devrait être assurément un des temps forts de l’été arlésien. Exposé à l’église Sainte-Anne et accompagné d’un catalogue co-édité par Textuel et Arte Éditions, Iran, Année 38 est un projet ambitieux. Il est porté par deux figures emblématiques de la photographie iranienne, la galeriste Anahita Ghabaian (fondatrice de la Silk Road Gallery à Téhéran en 2001) et la photographe Newsha Tavakolian, membre de Magnum Photos (voir leurs portraits croisés en encadré).

En mettant en parallèle l’histoire contemporaine de leur pays avec celle de la photographie, les deux commissaires ont voulu brosser un portrait nuancé de l’Iran, loin des raccourcis médiatiques. Leur panorama de la création photographique réunit les œuvres de soixante-six photographes, dont les plus jeunes n’ont même pas 30 ans. Cette année marque le 38e anniversaire de la révolution qui a renversé la dynastie Pahlavi et a donné naissance à la République islamique, instaurée par l’ayatollah Khomeyni, leader de l’opposition, le 1er avril 1979.

Avant cette date, la photographie n’existait pratiquement pas. À compter de cet événement, le médium éclot véritablement, propulsé par les demandes des agences et de la presse étrangère. Et la guerre contre l’Irak, à partir de septembre 1980, soit moins d’un an et demi après, constitue un second point de bascule. Le pays est alors attaqué par l’armée de Saddam Hussein, épaulée par les pays occidentaux qui redoutent une contagion de la révolution islamique et un possible leadership de l’Iran sur la région. « Avec la guerre, les photographes étrangers quittent l’Iran, explique Anahita Ghabaian dans un entretien publié dans l’ouvrage qui accompagne l’exposition. Les sujets sont multiples pour les photographes iraniens qui, durant huit ans, apprennent et se perfectionnent. »

Du front au salon

Toute une première partie de l’exposition relève du reportage en noir et blanc, mais dans la section La guerre du front au salon, les images journalistiques – elles aussi en noir en blanc – dialoguent avec des mises en scène en couleur. Car au-delà du travail de documentation des huit années de guerre, l’événement laisse des marques profondes dans la mémoire collective.

« La guerre a pénétré le salon de chaque Iranien, témoigne Anahita. Chacun a gardé un souvenir direct ou indirect de ces événements », très entretenus par le système politique et les médias, à travers la commémoration et l’iconographie autour des martyrs. Avec sa série La Vie moderne et la Guerre, Gohar Dashti transpose le quotidien de jeunes couples dans des paysages de champs de bataille. Les projections d’images de soldats dans des intérieurs domestiques par Saba Alizadeh évoquent de façon très forte cette imprégnation de l’histoire dans l’intimité (dans la série La Lumière et la Terre).

Babak Kazemi évoque le martyr des habitants de Khorramshahr – ville frontière avec l’Irak meurtrie par le conflit – en superposant des photos de personnes et de paysages sur des plaques indiquant le numéro des maisons. Dans des mises en scène très fortes – un couteau ensanglanté à côté d’une assiette, des escarpins rouges voisinant avec des godillots de soldats –, Shadi Ghadirian apporte un contrepoint décalé sur ces années de souffrance. Très engagée sur le terrain féministe, l’artiste s’est fait connaître avec sa série Like Every Day dans laquelle des femmes portant un tchador avec un ustensile de cuisine (théière, fer à repasser, râpe à fromage…) à la place du visage.

© Arash Khamooshi

© Arash Khamooshi

© Kaveh Kazemi

© Kaveh Kazemi

© Abbas Kowsari et © Azin Haghighi

À g .© Abbas Kowsari ¦ À d. ©Azin Haghighi
Image d’ouverture extraite de la série Espace public, 2015  © Morteza Niknahad & Behnam Zakeri

Explorez
Marc Riboud : dix ans de conflit vietnamien dans une exposition
À la sortie de l'école dans un village de la côte, Nord Vietnam, 1969 © Marc Riboud / Fonds Marc Riboud au musée Guimet
Marc Riboud : dix ans de conflit vietnamien dans une exposition
Le musée Guimet des Arts asiatiques et l’association Les Amis de Marc Riboud s’unissent pour présenter l’exposition Marc Riboud –...
18 avril 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Basile Pelletier et Sølve Sundsbø conversent : « La curiosité est ma principale source d'inspiration »
Le linge, 2021 © Basile Pelletier
Basile Pelletier et Sølve Sundsbø conversent : « La curiosité est ma principale source d’inspiration »
Le jeune talent Basile Pelletier, 21 ans, ancien élève de la section art et image de l’école Kourtrajmé, échange avec le photographe...
17 avril 2025   •  
Écrit par Cassandre Thomas
La sélection Instagram #502 : rebelle un jour, rebelle toujours
© Piotr Pietrus / Instagram
La sélection Instagram #502 : rebelle un jour, rebelle toujours
Les artistes de notre sélection Instagram de la semaine font résistance. Résistance contre l’oppression, contre les diktats, contre les...
15 avril 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Fotohaus Bordeaux 2025 : des existences engagées
© Olivia Gay
Fotohaus Bordeaux 2025 : des existences engagées
La quatrième édition de Fotohaus Bordeaux a commencé. Jusqu’au 27 avril 2025, l’Hôtel de Ragueneau accueille l’événement qui, cette...
12 avril 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Nos derniers articles
Voir tous les articles
11 séries photographiques qui mettent le Brésil à l’honneur
© Alice Quaresma
11 séries photographiques qui mettent le Brésil à l’honneur
L’année 2025 est marquée par la saison France-Brésil. Ce programme a pour ambition de renforcer les liens entre les deux pays en nouant...
Il y a 3 heures   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Rephotographier les monts Uinta pour montrer que le changement climatique s’accélère
© William Henry Jackson, 1870 et Joanna Corimanya, Anahi Quezada, et Town Peterson, 2024.
Rephotographier les monts Uinta pour montrer que le changement climatique s’accélère
En septembre 2024, le géologue Jeff Munroe et l’écologiste Joanna Corimanya entreprenaient un trek de 50 kilomètres dans la toundra des...
Il y a 8 heures   •  
Écrit par Thomas Andrei
Les photographes dans Fisheye célèbrent la Terre, sa fragilité et sa grandeur
Camsuza © Julie Arnoux
Les photographes dans Fisheye célèbrent la Terre, sa fragilité et sa grandeur
Les photographes publié·es sur Fisheye ne cessent de raconter, par le biais des images, les préoccupations de notre époque. À...
22 avril 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
La sélection Instagram #503 : les pieds sur Terre
© Garrison Garner / Instagram
La sélection Instagram #503 : les pieds sur Terre
À l’occasion de la journée de la Terre, les artistes de notre sélection Instagram de la semaine célèbrent notre planète. Iels...
22 avril 2025   •  
Écrit par Marie Baranger