Fasciné par la science, le photographe belge Philippe Braquenier s’est lancé, avec Earth not a globe, dans un projet au long cours documentant les recherches des « flat earthers », cette communauté persuadée que la terre est plate. Une série aux frontières de la fiction, illustrant les théories et expériences de ces platistes.
Fisheye : Quand as-tu commencé à t’intéresser aux platistes ?
Philippe Braquenier : L’idée m’est venue pendant l’élection de Donald Trump. C’est à ce moment-là que le terme « fait alternatif » est apparu et qu’un grand mouvement de décontextualisation des informations vérifiées a commencé à se développer. En parallèle, je voyais de plus en plus d’articles sur les platistes ou « flat earthers », et j’ai fait une corrélation.
De plus, ce projet est le parfait contre-exemple de Palimpsest, mon précédent travail, où je traitais de la préservation de l’information !
En quoi ces mouvements sont-ils semblables ?
Je dirais que leur point de convergence est l’utilisation de l’information et de l’image. Lors de la cérémonie d’investiture de Trump, par exemple, un photographe de l’agence de presse Reuters a pris un cliché sur lequel on remarque un public assez disséminé, alors que durant la cérémonie d’Obama, l’endroit était envahi par la foule. L’administration américaine a alors contesté cette image, en disant qu’elle avait été prise à un autre moment. Les platistes développent le même schéma de pensée : ils rejettent toute information venant d’une institution « certifiée ».
Comment t’es-tu renseigné sur les flat earthers ?
Après avoir fait de nombreuses recherches sur le mouvement en général, j’ai commencé à m’inscrire sur des forums de sites qui leur sont dédiés. Les contenus y étaient très théoriques, textuels et ponctués par des disputes entre les sceptiques et les platistes. Par la suite, je les ai suivis sur les réseaux sociaux, où leur communication était plus visuelle. Cependant, je ne me suis jamais fait passer pour l’un d’entre eux, j’étais plutôt un observateur.
Projections are always equal or bigger
Tu n’en as donc rencontré aucun.
Non. Je venais de travailler sur un documentaire, et je trouvais intéressant d’utiliser cette même démarche pour me diriger vers la fiction, afin de brouiller les pistes, tout en me mettant dans la peau d’une sorte de chercheur. Je me suis documenté pendant plus d’un an avant de prendre les premières images. Je ne pense d’ailleurs pas que mon projet ait encore attiré leur attention !
La science est au cœur de tes travaux. A-t-elle influencé ta manière d’illustrer les théories des platistes ?
Il est vrai que la science me fascine. Nous savons tous que notre compréhension de la réalité est assez biaisée. Nos sens, nos différentes cultures et nos connaissances déterminent notre vision du monde. La science apporte une certaine forme d’objectivité mesurable. Pour ce projet, j’ai essayé d’utiliser leur point de vue, leur manière d’observer. Le projet fonctionne presque comme un making-of de leurs travaux, de leurs recherches à la fois théoriques et pratiques, sur le terrain.
à g. Mark, à d. Buoyancy and density, gravity doesn’t exist
Comment définirais-tu les images de ta série ?
Je les vois surtout comme des reconstitutions. Mes images sont inspirées par les personnes, leurs expériences, ou les photographies et vidéos qu’ils véhiculent pour prouver leurs théories. Par exemple, pour réaliser le portrait de Mark Sargent – sorte de fer de lance du mouvement – j’ai fait reproduire à l’identique le t-shirt qu’il porte régulièrement, et qui le désigne. J’ai ensuite demandé à quelqu’un qui lui ressemble étrangement de le porter.
Un autre exemple ?
Le cliché du décollage de Mad Mike Hughes (un acrobate platiste américain qui est monté à bord d’une fusée fait maison, et s’est élevé à plus de 570 mètres, ndlr) est en réalité un montage. J’ai d’abord pris une photo en Amérique du Sud, dans un désert qui ressemble parfaitement à son lieu de décollage en Arizona. Ce sont quasiment les mêmes plantes, la même chaîne de montagnes, les mêmes conditions lumineuses… Et j’ai ensuite reconstitué la fumée et la poussière du lancement.
Mad Mike Hughes rocket launch
Tu as ajouté des légendes à tes images, que représentent-elles ?
Mes titres retracent souvent une partie des descriptions de leurs expériences. Mais j’en ai inventé quelques uns en utilisant la même méthodologie. Il y a, je trouve, une forme de poésie insoupçonnée dans ces descriptions. Cela vient peut-être de leur vision du monde légèrement en décalage.
Les platistes utilisent cependant la science pour prouver leurs théories… Leur as-tu donné le bénéfice du doute ?
Non pas vraiment. Les flat earthers utilisent souvent des théories très complexes et documentées. Ils mentionnent la mécanique des fluides, la thermodynamique, l’ionisation des gaz rares… Les lire peut donc s’avérer très instructif. Dès que je questionnais ce qu’ils racontaient, ce qu’ils essayaient de prouver, je creusais le sujet… Et j’ai réalisé qu’ils omettent souvent des détails qui pourraient contrecarrer leurs théories. S’ils utilisent des procédés ou raisonnements scientifiques pour certaines choses, ils les ignorent pour d’autres, quitte à se contredire. Souvent ils se perdent dans des théories complexes et en oublient les bases de fonctionnement.
Cependant, ils utilisent majoritairement la recherche empirique : ce qu’ils voient et ressentent. On le voit clairement dans leurs expériences « didactiques » : plus c’est simple et visuel, plus c’est marquant.
Flattest place on earth
à g. Rotating glob, à d. Truth seeker
No rocket has ever went into space
à g. Southern stars rotation, à d. Propaganda van
Sun splitting the line of the horizon
à g. 4 mile laser teste shows proof of no curvature / à d. Total solar eclipse
Star trails 20° North
© Philippe Braquenier