En 2015, Kevin Faingnaert se rend à Matavenero, un écovillage situé dans le nord-ouest de l’Espagne. Durant trois semaines, il partage le quotidien de cette communauté autonome et réalise des images fascinantes. Entretien.
Fisheye : Raconte-nous tes premiers pas dans le milieu de la photo ?
Kevin Faingnaert :
J’avais 14 ans lorsque j’ai reçu mon premier boîtier. À l’époque, je photographiais surtout mes amis, le skateboard et mes week-ends de randonnée. Je voulais juste montrer à mes amis et à ma famille où j’allais et ce que je faisais. Puis le passe-temps est devenu une obsession. Le jour où j’ai décidé de quitter mon emploi a été le plus beau de ma vie. Aujourd’hui, je réalise des projets à plusieurs entrées : j’aime autant la photo documentaire que de paysage ; j’aime réaliser des portraits intimes, aussi.
Dans quelle mesure ton passé de sociologue nourrit-il ton approche photographique ?
En tant qu’ancien sociologue, je m’intéresse aux personnes et aux structures qui les lient. La pratique de la photo nourrit ma curiosité. J’ai toujours aimé voir comment les autres se comportent, vivent et échangent au sein d’un groupe. J’aime, par exemple, analyser ce qui pousse les gens à changer de style de vie. Je suis un photographe social : j’ai besoin de parler aux gens que je rencontre avant de les photographier. L’appareil photo est un bel outil pour le timide que je suis. Et puis, je suis fasciné par les gens qui concrétisent leurs idéaux par l’action ; c’est un travail acharné. Plus ils sont ambitieux et fous dans leur activité et plus je suis impressionné.
Comment décrirais-tu Matavenero à quelqu’un qui n’y est jamais allé ?
Matavenero est un écovillage construit en 1989. Il se situe au nord-ouest de l’Espagne, dans une région montagneuse. Plus qu’un village, Matavenero est une communauté remarquablement isolée, car uniquement accessible à pied. Je m’y suis rendu pendant trois semaines au printemps 2015 pour documenter les habitants et leur mode de vie. Je voulais dresser le portrait de personnes ayant décidé de vivre selon leurs croyances, loin de l’agitation de la vie moderne.
Comment as-tu réussi à intégrer le village puis à réaliser ta série Matavenero ?
Avant de faire des photos, j’ai travaillé avec la communauté de Matavenero. J’ai nettoyé le bar du village, creusé un nouveau canal ou encore nourri les ânes… J’ai commencé à sortir mon appareil photo après plus d’une semaine de participation aux tâches quotidiennes. Il me semblait important de respecter et d’honorer le style de vie des habitants. Je ne suis pas là pour faire du voyeurisme. Je travaille en collaboration : je veux que mes modèles aient confiance en moi et qu’ils soient fiers du résultat final.
Que représente Matavenero pour toi ?
Pour certains, Matavenero est une utopie irréaliste. Pour moi, il s’agit d’un style de vie écologique et autosuffisant que je ne peux m’empêcher d’admirer. Là-bas, les habitants transforment leurs idéaux en actes, du fait de leur travail acharné.
Comment définirais-tu les relations établies avec les habitants de la communauté ?
Il m’a fallu du temps et des efforts pour entrer réellement en contact avec eux et gagner leur confiance. La plupart des gens qui vivent à Matavenero n’aiment pas l’idée d’être photographiés. Et puis, ma présence étrangère s’est transformée en une coexistence véritable. Cela m’a permis de faire une série de portraits de personnes que je considère aujourd’hui comme des amis. Un portrait, c’est une heure de discussion autour d’un café, puis 10 minutes de shooting.
As-tu fait des rencontres mémorables ?
Je garde de bons souvenirs de tous ceux que j’ai rencontrés là-bas. Chacun d’entre eux avait un parcours de vie intéressant.
Jürn, par exemple. Cet allemand de 56 ans n’a pu s’adapter à la société moderne, il a donc choisi de quitter un monde sous pression pour vivre plus près de la terre. Il est l’un des fondateurs du village. Ici, son nom apparaît sur les outils, les livres et les arbres. Il joue aussi un rôle important dans le développement du village à travers son implication dans des activités sociales.
Il y a Dani aussi, un illustrateur de 28 ans, qui a grandi à Barcelone. Alors qu’il cherchait un endroit paisible où pratiquer son art, il a visité Matavenero en 2009 et décidé de s’y installer. Il passe maintenant ses matinées à s’occuper des abeilles, ses après-midi à peindre et à dessiner ou à courir le long des sentiers dans les montagnes. Et il est toujours en contact avec un galeriste à Barcelone, où il vend ses œuvres d’art.
D’autres, comme Leoni, 26 ans, sont nés à Matavenero. Un jour, elle a tenté de quitter Matavenero pour une nouvelle vie à Berlin, mais elle est revenue un an plus tard, avec son nouveau compagnon. Ils ont construit une nouvelle maison ensemble et ont eu leur premier enfant quelques mois avant mon arrivée.
Cette série en trois mots ?
Utopie, nature et dévouement.
© Kevin Faingnaert
Réalisation : Nina Peyrachon