À la Villa Pérochon, Julien Magre, lauréat du prix Niépce 2022, dévoile une nouvelle étape de sa démarche photographique, marquée par le noir et blanc, l’apparition de paysages et de natures mortes, et une place grandissante accordée à l’écriture. Cette exposition inédite, à découvrir jusqu’au 27 septembre 2025, propose une traversée introspective, entre regard documentaire et geste artistique.
Nous avons posé des questions à Philippe Guionie, directeur de la Villa Pérochon, à l’occasion de l’exposition de Julien Magre, photographe lauréat du prix Niépce 2022. Après plus de vingt ans à documenter l’intimité de sa femme et de leurs trois enfants, le photographe tourne une page avec un nouveau corpus en noir et blanc, présenté ici pour la première fois. Ce travail marque un élargissement de son champ d’exploration : paysages, natures mortes et écriture poétique s’entrelacent désormais à ses images. Plus autonome, l’écriture devient un prolongement sensible, sans nécessaire lien direct avec les photographies. À travers ce changement de ton et de forme, Julien Magre continue d’interroger la mémoire, la présence et la trace, tout en affirmant un regard toujours délicat sur ce qui nous lie au monde. L’exposition, visible jusqu’au 27 septembre à la Villa Pérochon, offre une traversée intime et sobrement bouleversante.
La beauté réside dans le proche
Julien Magre photographie sa famille depuis 1999. Il appelle ce travail En Vie. La Vie, en majuscule. Une histoire intime racontée par l’image, au fil du temps, des gestes quotidiens, des silences et des éblouissements. C’est une œuvre discrète, patiente, tenace, où l’intime devient universel. « Julien a le talent de celles et ceux qui savent planter le décor et incarner des choses simples pour les rendre universelles : un geste, une main, un visage, un regard, un paysage, un objet, une concordance des temps », écrit Philippe Guionie, directeur de la Villa Pérochon et parrain de l’artiste pour le prix Niépce 2022. Il poursuit : « Je ne [l’]avais jamais rencontré […] avant de le parrainer pour le prix Niépce, édition 2022, et pourtant, les photographies de sa famille m’étaient déjà presque toutes familières. Caroline, Julien, Louise, Suzanne, Paul étaient devenus comme des identités de proximité. Je ressentais, et je ressens toujours, un étrange et doux sentiment d’appartenance. Cette famille est aussi quelque part la mienne. » Il y a, dans les images de Julien Magre, une densité de présence, une simplicité qui touche, qui lie. « N’est-ce pas la force de la photographie de rendre familier ce qui ne l’est pas, de rendre accessible ce qui est lointain, de rendre immense les choses minuscules ? » Car derrière les apparences de la photographie dite vernaculaire, c’est bien une œuvre d’auteur qui s’impose. Une œuvre qui ose, qui affirme, sans jamais hausser le ton. « La photographie est aussi une affaire d’obsessions et de solitude », poursuit Philippe Guionie.
Depuis plus de deux décennies, Julien Magre photographie les siens avec constance et humilité, enregistrant les fragments du quotidien : ses permanences, ses joies, ses fractures, ses fulgurances et ses silences. « Il photographie “droit”, sans ambages. La force de ses images est dans la sobriété des formes. La distance au sujet est courte, quelques mètres, quelques dizaines de mètres tout au plus. » Ce regard sans prétention fait la singularité de son œuvre. Il n’impose rien, il propose. Il laisse place à l’émotion, à la mémoire, au tremblement, explique le directeur. « Julien a la modestie de celui qui pose des questions ouvertes avec une photographie respectueuse et poétique. Il est l’écrivain de ses failles intimes, le dedans et le dehors associés dans un tout photographique tendant vers l’universel. » À travers lui, l’histoire d’une famille devient celle de toutes : « À l’heure de nos sociétés contemporaines connectées, en mutations constantes et interdépendantes, Julien Magre affirme avec poésie et douceur que la famille est, et restera, un sosie. Elle l’est pour lui. À travers ses photographies, elle le redevient pour nous. »
En 2023, Julien Magre décide de mettre un terme à ce long travail. « La fin d’une histoire et le début d’une autre », dit-il. Mais il ne quitte pas l’intime : il en élargit le champ, explore d’autres formes de narration. « Je décide de prendre le temps, le temps de regarder. Je photographie alors de petites images, noires et blanches, silencieuses et nécessaires. Des images de vie. Des images de tout. » Paysages et natures mortes prennent place dans ce nouveau cycle, inaugurant une suite encore inconnue, mais toujours guidée par cette même attention au monde, douce et lucide. Ainsi, « l’histoire que Julien Magre nous raconte nous rend modestes et invincibles », souligne Philippe Guionie. Parce qu’elle nous rappelle que la beauté réside dans le proche, dans l’ordinaire, dans ce qui palpite doucement sous nos yeux, si l’on consent à regarder.