Dans les années 1970, la photographe Mimi Plumb est revenue sur son enfance californienne. Dans son livre The White Sky, édité chez Stanley/Barker, elle remue ses années passées dans les suburbs. Témoignage d’une époque immobile.
Walnut Creek, Californie. C’est dans la banlieue de cette ville, située à une quarantaine de kilomètres de San Francisco, que Mimi Plumb a grandi. Et c’est au pied du mont Diablo, sur ce territoire qu’elle appelle « le pays de la fumée, du feu et de la sécheresse », qu’elle a construit son identité. Une jeunesse que les images rassemblées dans son livre The White Sky, saisissent et fixent dans un temps suspendu. « À 13 ans, se souvient la photographe, nous portions des jeans délavés, déchirés aux genoux, des t-shirts blancs et de longs cheveux raides séparés au milieu. Nous nous sommes promenés, nous cachant dans les coins, fumant des cigarettes, cherchant des choses à faire. »
Dans ces errances cloisonnées, elle voit se développer ce que certains pensent être, à ce moment-là, un idéal de vie. Une forme d’urbanisation accélérée qui nourrira pendant longtemps l’imaginaire collectif d’une Amérique en voie de standardisation. « J’ai regardé sur les collines et dans les vallées se multiplier les maisons et les centres commerciaux, confie-t-elle. Et pour mes amis et moi, c’était les maisons les plus fades et les plus tristes du monde. » Cette banlieue qui sera le paysage de son enfance, elle décidera d’en témoigner en consacrant un de ses premiers travaux photographiques. Une volonté d’enregistrer sans fard une réalité qui lui appartient. « Je photographie pour découvrir ce que je pense, ce que je regarde, ce que je vois et ce que cela signifie », dit-elle en paraphrasant l’écrivaine Joan Didion.
La possibilité d’un ailleurs
Comment fuir cet ennui qui semble peser sur les êtres jusqu’à envahir l’air ? La possibilité d’un ailleurs, Mimi Plumb la connaît à travers les grands changements qui animent son époque. Ces bouleversements, elle les sent au bout de ses doigts. « La contre-culture de Haight Ashbury existait à moins de 20 miles de mon enclave, explique la photographe. Les mouvements antiguerre et pour les droits civiques… Tout cela nous interpellait, contrastant fortement avec l’uniformité de la vie dans les banlieues. » Pour rejoindre cette forme d’absolu générationnel, elle le sait, elle n’a d’autre choix que de quitter cette banlieue qui l’étouffe. Elle doit tourner le dos à cette terre qui l’a vu s’élever et doit se fondre dans l’anonymat des grandes villes.
En 1971, à l’âge de 17 ans, Mimi Plumb décide donc de prendre la route de San Francisco. En elle, une idée bien précise : étudier la photographie. Marquée par les images de Diane Arbus et de Robert Franck, elle pense partager avec eux un regard sombre sur l’Amérique qui l’entoure. Son désir documentaire est évident et elle l’exprimera très tôt.« Un de mes premiers professeurs du San Francisco Art Institute, John Collier Jr. (Pionnier de l’anthropologie visuelle, NDLR), un protégé de Dorothea Lange, m’a encouragée à faire des projets plus approfondis. J’ai décidé de réaliser un projet sur le développement des banlieues. » L’ombre de Walnut Creek n’est alors pas très loin et c’est presque naturellement qu’elle décide, un an après son départ, de retourner sur cette terre pour démarrer ce projet qui durera sept ans.
Ce ciel inquisiteur
Un retour si précoce n’a rien d’étonnant. Il n’est pas rare qu’un photographe débutant commence par travailler sur un sujet qui lui est familier. Une façon peut-être de se rassurer, de dompter ses doutes et d’exprimer un peu de soi. Cette charge émotionnelle, ces images, qu’elle considère comme des mémoires d’enfance, la portent. Elles nous dévoilent une part intérieure de la photographe. Comme elle le révèle par le choix du titre de cette série, The White Sky : « La dureté du paysage me faisait mal aux yeux. Les basses collines brunes recouvertes d’herbe sèche me griffait les chevilles. Les queues de renard coincées dans mes chaussettes, je cherchais toujours un endroit pour me cacher du ciel blanc et lumineux. »
Qu’il apparaisse ou non, ce ciel inquisiteur affirme sa présence dans toutes les images réunies ici. Il découpe les paysages, éclaire les visages, impose de son empreinte solaire une ambiance de fin du monde perpétuelle. Mais il doit partager son rôle. Ces images souvent cinématographiques sont celles d’un film choral. Il y a de vrais personnages, ceux qui tiennent le pavé, ceux qui se jouent de ce désert : les enfants. Les mines parfois défiantes, les yeux souvent rieurs, ils sont les véritables héros des images de Mimi Plumb. Ils sont adultes désormais. Que sont-ils devenus ? Sont-ils encore là-bas ? Et enfin, est-ce aussi à eux que la photographe s’adresse lorsqu’elle conclut, avec une certaine tristesse : « Le pays que j’ai photographié dans les années 1970 est aujourd’hui en feu avec 28 incendies majeurs qui brûlent dans tout l’État (…) Le rêve américain incarné dans la banlieue californienne est mis en péril, par un climat en crise. »
The White Sky (spécial édition), éditions Stanley/Barker, 200£, 136p.
© Mimi Plumb / Courtesy of the Robert Koch Gallery