« La Mort en marche » : le peuple et le sang

22 octobre 2020   •  
Écrit par Julien Hory
« La Mort en marche » : le peuple et le sang

Avec La Mort en marche, Robert Capa a documenté les prémices de la Guerre d’Espagne. En rééditant cet ouvrage de référence, les éditions Delpire redonnent vie à un témoignage poignant. Un regard engagé et humaniste sur un chapitre sanglant qui vit s’ériger une nation.

Été 1936. Une guerre intrinsèque déchirait l’Espagne pendant près de trois ans. Cette période sanglante opposa les républicains, fidèles au gouvernement démocratiquement élu et composé essentiellement de communistes et d’anarchistes, aux putschistes fascistes menés par le général Franco. Face à l’extrême-droite et aux nationalistes, el pueblo (le peuple). C’est à ce dernier que Robert Capa, pionnier du photojournalisme, rend hommage à travers les centaines d’images qui nourrissent l’ouvrage La mort en marche.

Dès les premières premières semaines de ce qui allait devenir une guerre civile, Robert Capa et Gerda Taro, sa compagne également photographe, sont envoyés en reportage pour couvrir le conflit. Sur place, aux côtés des forces républicaines, Capa enregistre le quotidien d’un peuple qui se prépare à résister. De la vie en deuxième ligne jusqu’aux fronts meurtriers, le reporter capte l’engagement sans limites des femmes et des hommes pour qui les mots No pasarán (Ils ne passeront pas) étaient plus qu’un slogan.

Robert Capa © International Center of Photography / Magnum Photos

La fierté toujours

En parcourant les pages, on ne peut qu’être saisi par la force qui émane des visages photographiés. Dans les regards se lisent la joie des victoires, l’inquiétude des lendemains, mais la fierté toujours. C’est sans doute cette détermination sans faille qui a conduit des individus dont la guerre n’était pas un métier, à s’organiser et à apprendre l’art de monter une armée. Bien que nous en connaissions aujourd’hui l’issue, ces clichés montrent l’espoir qui habitait ceux prêts à mourir pour leur liberté. Plus qu’une simple chronique de guerre, La Mort en marche est le récit d’une nation en devenir.

Si les images de Capa s’inscrivent dans le flux de l’histoire, elles ne sont pas moins l’empreinte d’une Espagne oubliée et déchirée. Elle revit ici à travers les textes qui accompagnent les noirs et blancs du photographe, mais aussi dans les mots du journaliste américain Jay Allen qui préface le livre. Pour lui, c’est aussi une nation en pleine construction qui hurle son désir de naître. Allen, qui lorsqu’il rédigea son texte ne connaissait pas l’issue malheureuse de cette guerre, écrivit ceci : « Si cela continue assez longtemps, une nouvelle nation, une véritable nation sera forgée. (…) Il aurait pu intituler les photos La Vie en marche avec autant de justesse. »

Robert Capa © International Center of Photography / Magnum Photos

L’avertissement de la république d’Espagne

Vu de notre 21e siècle, La Mort en marche sonne aussi comme une alerte aux drames qui dévasteront le monde peu de temps après. La première édition de l’ouvrage voit le jour au début de l’année 1938, à l’aurore de la Seconde Guerre mondiale. Mais si l’histoire tend à se répéter, cette ressortie pourrait nous alerter sur notre présent. Cynthia Young, conservatrice des archives Capa au Centre international de la photographie (New York), l’explique : « Il y a plusieurs raisons à cette nouvelle édition de La Mort en marche. (…) Des comparaisons avec la récente progression des partis d’extrême droite et la situation des années 1930 conféraient au livre — et à l’avertissement de la république d’Espagne — un regain d’importance. »

Les photographies tirées de ce témoignage exceptionnel vont alimenter la presse internationale, faire la Une des magazines et rendre compte au monde des drames qui se jouent alors sur la péninsule ibérique. Elles participeront à l’essor du photojournalisme. Mais alors qu’elles consacreront Robert Capa comme un photographe de premier plan, elles sont également l’ultime héritage photographique que nous laisse Gerda Taro. Partie le 27 juillet 1937 sur le front de Brunete, près de Madrid, elle mourra broyée par un char fasciste à l’âge de 26 ans. Elle devient alors la première femme photojournaliste tuée durant son reportage.

La Mort en marche, éditions Delpire, 35€, 112 p.

Robert Capa © International Center of Photography / Magnum Photos Robert Capa © International Center of Photography / Magnum Photos

Robert Capa © International Center of Photography / Magnum Photos

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