Fisheye : Pourquoi et comment es-tu devenue photographe ?
Sarah Seené : J’ai commencé la photo comme activité extra scolaire lorsque j’avais 17 ans. J’avais la chance d’habiter à côté des Beaux-Arts de Belfort où il y avait un labo. Ma mère m’a proposé de m’inscrire à une activité artistique et j’ai choisi la photographie. J’ai donc commencé par l’argentique en développant et en faisant mes propres tirages. Par la suite, j’ai fais un master recherche option cinéma à Poitiers, à l’issu duquel j’ai écrit un mémoire sur Lars Von Trier. Durant ce master, j’ai aussi entamé la réalisation d’un documentaire que je suis en train d’achever, De poils et de plastique, sur l’artiste Lucas Brastaad.
Dés le départ, la photographie argentique a été quelque chose de très naturel ?
J’étais déjà très attirée par l’image, alors oui ça m’a tout de suite beaucoup plu ce rapport physique à la pellicule.
Comment le polaroid est-il arrivé dans ta vie ?
C’est grâce à un concours organisé par la libraire parisienne Artazart en 2011 que je me suis mise au polaroid. Il fallait réaliser un triptyque sur le thème « Votre univers magique ». J’ai emprunté un Pola 600 à une de mes tantes que j’utilisais petite. Elle me l’a donné et je ne me suis arrêtée depuis.
Quelle émotion te procure ce procédé ?
Énormément de stress sur le moment, d’excitation, et une adrénaline que j’aime beaucoup en fait.
Pourquoi du stress ?
Parce que je suis hyper exigeante lorsque j’ai une idée en tête et dans ce que je veux comme résultat. Je commence quand même à maîtriser le médium, mais j’ai toujours peur que le résultat ne corresponde pas à ce que je souhaite. J’apprends encore à m’accommoder de choses qui ne sont pas de mon fait. Par contre quand c’est exactement à la hauteur de mes aspirations, c’est une satisfaction incroyable et c’est l’émotion que je recherche.
Depuis 2011, tu estimes avoir réalisé combien de polas ?
Ça ce compte en centaine – pour les polas réussis. Mais je n’ai jamais compté. Au total je dirais entre 500 et 600.
En-dehors du polaroid, est-ce que tu utilises d’autres boîtiers argentiques ? Quelles différences y-a-t-il, pour toi, entre un polaroid et un boîtier classique ?
L’instantanéité fait toute la différence. Or je suis quelqu’un de très impatient. J’ai besoin de voir tout de suite le résultat. Je peux prendre le temps de développer, de tirer… Mais ce n’est pas pareil. Il y a une satisfaction dans le polaroid dont j’ai besoin. Que je ne retrouve pas dans le numérique, parce qu’il n’y a pas ce côté magique de la chimie.
Ce besoin d’instantanéité, c’est quelque chose que tu ressentais avant de faire du polaroid ?
Oui, je pense que ça fait partie de ma personnalité. Mais c’est un besoin qui s’est cristallisé avec le polaroid. Je connais beaucoup de gens qui bossent avec ce support, mais qui sont vraiment dans une pratique quotidienne, spontanée. Je n’ai pas du tout cette approche… Je réfléchis énormément avant de déclencher. C’est obsessionnel. Surtout pour des séries comme celle-là, qui demandent un travail très minutieux.
Justement, comment Botanica – que tu nous présentais fin septembre dernier – a vu le jour et pourquoi ?
J’ai fais cette série en deux mois, durant l’été 2015. C’était la première fois que je me rendais à Montréal, avant d’y habiter. C’est une série de neuf autoportraits en noir et blanc sur lesquels j’ai superposé des fleurs en couleurs. Il y a bien deux étapes : l’autoportrait que je shoote de manière très réfléchie ; et ensuite, je glane des photos de fleurs dans les rues. Je pose une feuille blanche derrière la fleur. Ça fait ressortir sa couleur et ça rend le polaroid translucide. C’est une technique sur l’émulsion qui est très répandue… Mais je la détourne en grattant le produit qui se trouve dans la photo, pour rendre la fleur transparente tout en gardant la texture du pola.
Pourquoi l’autoportrait ?
Ça fait un an et demi que je m’adonne à l’autoportrait par envie d’explorer l’expression de ma propre personne. En fait je suis très réservée, je me dévoile difficilement. J’ai une histoire personnelle très particulière. J’en parle peu… La photo est ma façon d’exprimer cela. Mes premiers autoportraits, il y a trois ans, étaient assez sombres. Aujourd’hui, ceux que je prends sont plus doux, colorés, apaisés… En revanche avec Botanica, je suis revenue à une méthode que j’utilisais pas mal au début, le maquillage. J’y suis revenue par touche pour cette série. Les lèvres sont noires pour que ça ressorte bien sur le pola noir et blanc. J’ai voulu faire quelque chose d’esthétiquement très ancré dans ma tête. Je suis très inspirée par le végétal. J’avais envie de faire un rapport avec ce que je vivais – mon départ à Montréal notamment.
Quelle a été l’influence de ce départ à Montréal sur ta pratique photographique ?
Je suis partie vivre à Montréal en janvier dernier. D’abord pour rejoindre mon compagnon et aussi car je voulais expérimenter de nouvelles choses, sortir de ma zone de confort. Et puis j’adore la nature, d’ailleurs je ne shoote qu’en lumière naturelle, donc je me suis dit que ce serait intéressant d’explorer d’autres terres. Du coup j’ai bougé pas mal entre Montréal et les États-Unis. Il y a toute une flore là-bas que je n’ai jamais vu ailleurs. J’ai fais aussi beaucoup d’autoportraits dans la neige. C’est une nouvelle forme d’inspiration. À Montréal, je me suis beaucoup mise en image, pour m’observer.
Il y a donc une forme de thérapie dans ta pratique de la photographie ?
Complètement. Ça peut paraître un peu cliché de l’affirmer, car les artistes emploient souvent ce terme… Mais la photo est un beau moyen de raconter quelque chose de soi, sans passer par les mots.
Tu as une pratique très compulsive et rigoureuse du polaroid. Est-ce que parfois tu as des temps morts ?
Alors depuis que je suis à Montréal, je photographie beaucoup moins mais pour des raisons purement logistiques, car j’ai dû prendre un boulot alimentaire. Mais sinon, ça fait vraiment partie de ma vie et du coup je suis très productive. Malgré tout, Montréal m’a permis de prendre plus de recul et de plus réfléchir mes images – car là-bas les pellicules sont beaucoup plus chères.
En-dehors de ton environnement, qu’est-ce qui t’inspire ?
Je suis très inspirée par la musique : Émilie Simon (que j’ai eu la chance de photographier deux fois), Camille, Björk, Moriarty, CocoRosie. Elles j’aimerais vraiment les photographier !
Après il y a bien sûr la littérature. Virginia Woolf est ma principale source d’inspiration. Puis beaucoup de photographes aussi, notamment Tim Walker. J’adore son univers, il me parle énormément. Et aussi Joel-Peter Witkin dont le travail me fascine beaucoup.
Comment est-ce que tu envisages ton avenir photographique ?
Dans l’idéal, j’aimerais pouvoir faire des reportages et des documentaires au pola sur des sujets qui pourraient correspondre à mon univers. Je suis très fascinée par la marginalité. Moi qui suis beaucoup dans la mise en scène, ce serait une manière de challenger ma pratique habituelle : j’aimerais me confronter à des sujets pour lesquels je me mettrais davantage en danger.
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