La photo : un art qui se mange froid

25 septembre 2018   •  
Écrit par Anaïs Viand
La photo : un art qui se mange froid

Le Mucem célèbre l’art du repas et la photographie le temps d’une exposition présentée dans le cadre du Grand Arles Express. Un menu à découvrir jusqu’au 30 septembre !

À Marseille, durant tout l’été, le Mucem accueillait Manger à l’Œil, une exposition célébrant l’art du repas français. 265 photos et deux siècles de repas français plus tard, quatre commissaires – Floriane Doury, Nicolas Havette, Pierre Hivernat et Elisabeth Martin – s’emparent dans ce projet. Une belle brochette de spécialistes. À l’origine, une date clef et une confusion : le 16 novembre 2010, Nicolas Sarkozy – alors Président de la République, annonçait l’inscription du repas gastronomique des Français au patrimoine immatériel de l’humanité. Qu’est-ce que le repas gastronomique des Français ? Vaste question à laquelle les quatre experts ont tenté de répondre au cours d’un déroulé chronologique assumé.

Image et photo, un mariage savoureux

L’exposition débute avec la première photo de repas, réalisée en 1823. Table servie est attribuée Nicéphore Niépce. Le début d’une longue liste associée à des événements historiques. Le Repas de bébé réalisé par Louis Lumière, diners bourgeois de la Belle Époque, arrivée de la Cocotte Minute, repas d’ouvriers en grève ou encore apparition du premier MacDo en France… une frise guide le visiteur à travers le temps et les usages. Thomas Mailaender et Robin Lopvet ferment la marche avec leurs projets contemporains. Dans une performance, le premier mange une photo face caméra (2013) tandis que le second monte des images de #foodporn recueillies sur Instagram (2018). Des images inédites de Doisneau, Boubat, Cartier-Bresson ou Ronis ponctuent le parcours.

Un mariage savoureux mis en exergue d’une façon bien alléchante dans le texte signé Luce Lebart, présent dans l’ouvrage d’exposition Manger à l’œil. L’auteure, historienne de la photographie, propose en effet une belle analogie entre la chambre noire et la cuisine. Elle recense, entre autres, les ingrédients communs aux deux disciplines : le sel, l’œuf ou encore l’amidon. « Garant de la liaison de la sauce des pâtes, l’amidon, joue un rôle fondamental dans l’histoire de la photographie couleur », précise Luce. Une étude aussi intéressante que singulière.

© Frantisek Pekar (D.R.) Ville de Chalon sur Saône, France. Musée Nicéphore Niépce

© Frantisek Pekar (D.R.) Ville de Chalon sur Saône, France. Musée Nicéphore Niépce

Constantes et ruptures

Objet pédagogique ou de représentation sociale, le repas apparaît comme un puissant prétexte pour présenter la bonne famille. Qu’est-ce que la famille idéale ? Celle composée des parents, de leurs deux enfants et de leur chien  ou celle qui passe des heures interminables à table ? Et celle qui adore déjeuner devant le poste de télévision ? Si les commissaires n’ont pas choisi de faire du rôle de la femme dans la préparation du repas une thématique à part entière, on observe tout de même une évolution des fonctions féminines au sein de la famille. Au fil des années, la femme s’éloigne de la cuisine pour rejoindre la table, au coté du patriarche. Du moins, sur les images sélectionnées pour l’occasion.

Si le repas des Français témoigne de l’évolution de nos sociétés, il témoigne aussi des avancées technologiques. Le passage de l’autochrome au smartphone induit de nouvelles pratiques culturelles : photographier son plat au lieu de ses convives.

Le repas soulève aussi des questionnements politiques et atemporels intéressants. Face à nous, une cimaise et quelques grands noms de la Vème République. On y découvre entre autres Ségolène Royal et sa famille entourée de produits transformés ou encore Emmanuel Macron et son cordon bleu. Heureusement, on retrouve Jacques Chirac et son bon appétit. « Pour manger, on est tous chiraquiens », commente simplement Pierre Hivernat durant la visite.

Anonyme, Repas dans la cuisine, années 1970. Fonds Roger Viollet © Roger ViolletDistributeur automatique de repas express, Paris, octobre 1956. Fonds Roger Viollet © Roger Viollet

Fonds Roger Viollet © Roger Viollet

Les photos de repas ne sont plus des objets socialisants

Une exposition riche en documents, mais qui nous laisse sur notre faim. Un jeu de mots facile, mais qui s’impose néanmoins. Fast-Food ou Slow Food ? Si la question est posée, la partie contemporaine n’aborde que trop rapidement les effets de la surconsommation ou de la malbouffe. Matthieu Asselin et son enquête photographique manquaient, entre autres, à l’appel. Quid nos habitudes de consommation ? Le consommateur en lévitation au sein d’un supermarché (Hyper n°3, Denis Darzacq) n’évoque que légèrement le paradigme…

L’exposition invite tout de même le spectateur à s’interroger sur le devenir du repas français : le repas demeura-t-il un moment de partage ? Dans quels lieux mangerons-nous dans 30 ans ? Nicolas se montre peu rassurant à ce sujet, selon lui « les photos de repas ne sont plus des objets socialisants »

Le roi lion, Paris, mai 2007, série La table de l'ordinaire, 2006-2008 © Stéphanie Lacomb

© Stéphanie Lacomb

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