Jusqu’au 16 décembre, le Centre culturel irlandais accueille Surveillé.e.s, une exposition collective qui traite de la surveillance et des pratiques et mesures de sécurité. Parmi la quinzaine d’artistes exposés, Karl Burke met en exergue les difficultés de représentation des cyberguerres. Entretien.
Fisheye : Un petit mot quant à ton parcours ?
Karl Burke :
J’ai appris la photographie en autodidacte, en parcourant des magazines et des livres. Parallèlement à mes études de droit à l’université. C’était en 1987. Après avoir exercé la profession d’avocat, puis de compositeur et concepteur sonore, j’ai décidé, en 2018, de me consacrer à plein temps à la pratique de la photographie et des arts visuels. La route a donc été longue et sinueuse, mais j’ai atteint mon rêve.
La photographie est la voie à suivre pour transcender ce que je perçois comme mes limites techniques dans la pratique artistique classique.
Quel est ton rapport au 8e art ?
La photographie tend à se libérer de son rôle classique de représentation. Bien que la photographie abstraite et expérimentale existe depuis longtemps, je pense qu’elle peut être utilisée comme un outil de compréhension de la société actuelle. Je m’intéresse à ce que l’on peut faire du médium dans sa définition la plus large, en intégrant des données philosophiques et sociologiques. Dans cette mesure, la photographie devient un réel outil d’investigation. Pour chacun de mes projets, j’essaie de trouver une approche visuelle et conceptuelle adaptée. Je cherche à développer une imagerie forte, autonome.
Qu’est-ce qui t’inspire ?
Je puise la plupart de mes sujets de travail dans mon quotidien. Je m’intéresse à l’effet de la technologie sur le comportement humain, particulièrement via l’usage des téléphones mobiles et des médias sociaux. J’étudie aussi le complexe militaro-industriel, un sujet qui concerne de plus en plus le domaine « civil ». En témoignent la militarisation des logiciels et la prolifération des techniques de surveillance ou encore les pilotes de drones militaires recrutés selon leurs scores à des jeux de tirs ou de simulation de vol.
Et pour cette série ?
Cette série a émergé suite à la découverte, en 2010, du Stuxnet, une cyberarme qui visait les centrifugeuses iraniennes d’enrichissement d’uranium. Comment réaliser un travail visuel sur un champ de bataille virtuel ? Je voulais rendre compte de ce genre d’opérations invisibles 24 heures sur 24 et documenter les outils de piratage et de surveillance.
La cyberguerre est-elle un prétexte pour documenter le cybermonde ?
Je pense qu’il est important d’avoir un débat social et politique à ce sujet rapidement. « Maintenant», et non « après ». Il existe aujourd’hui des voitures autonomes, et des avancées significatives en matière d’intelligence artificielle. En parallèle, Internet prolifère. Ce n’est pas un hasard si l’Estonie a subi des cyberattaques en 2007, et si elle est aujourd’hui l’un des leaders mondiaux de la cyberdéfense.
Comment est née ta série Weaponworld ?
J’ai commencé à penser à cette série en 2012, mais il m’a fallu cinq ans pour déterminer la meilleure approche et la réalisation technique. 2017 s’est avérée une année intéressante, dans la mesure où il y a eu une fuite publique massive d’outils de piratage de la NSA [National Security Agency, organisme responsable de la sécurité des systèmes d’informations du gouvernement américain, ndlr] en mars. La fuite Vault 7.
Cela a été un désastre. Deux mois plus tard, des groupes de criminels se sont emparés des données informatiques et ont créé WannaCry, un logiciel malveillant. Mai 2017, plus de 300 000 ordinateurs ont été touchés à travers le monde. Cette cyberattaque est considérée comme l’un des plus grands piratages à rançon de l’histoire d’Internet. D’un point de vue purement égoïste, la fuite Vault 7 et les cyberattaques qui ont suivi ont participé au développement de mon projet.
Pour ce projet qui intègre le code informatique, comment avez-vous procédé ?
Au cours de mes recherches, j’ai observé comment les gens utilisaient des logiciels informatiques de 3D, qui servent à créer des paysages idéalisés. Je me suis aperçu que les mondes et les paysages virtuels crées de toute pièce par des passionnés, étaient en fait, directement des dérivés de l’armement virtuel. J’ai essayé d’apporter une réponse émotionnelle, presque physique, à quelque chose qu’il est difficile de dissocier du domaine cérébral. Bien que je sois familier avec les outils informatiques depuis les années 1990, je n’avais aucune expérience en matière de logiciel 3D. N’étant pas un développeur, j’ai dû apprendre à coder.
Peux-tu me parler du résultat ?
J’ai réalisé très tôt qu’une cartographie directe du code était comparable aux données dérivées de la cartographie des satellites. Il se trouve que la mise en image de cette cartographie du code donne naissance à un paysage. L’image finale est le résultat de la rencontre entre le code et les fractales [objets mathématiques comme des courbes, ou des surfaces, se répétant à l’infini, ndlr].
© Karl Burke