
Entre journal intime visuel et témoignage collectif, le travail de Laura Menassa explore la fragilité et la résilience au cœur de Beyrouth. À travers une pratique photographique à la fois instinctive et réfléchie, elle capte non seulement les traces visibles de la guerre et de ses séquelles, mais aussi l’intime. Ce double regard – celui de l’artiste et celui de la citadine – offre une lecture profondément sensible d’une ville qui se reconstruit tout en portant ses blessures.
Le travail photographique de Laura Menassa s’affirme comme un geste profondément organique, oscillant entre journal intime et archive collective. Sa pratique ne se réduit pas à une simple documentation visuelle : elle devient une nécessité existentielle, une forme de respiration dans un contexte marqué par l’instabilité et la violence. L’approche de Laura Menassa mêle spontanéité et obstination. Depuis l’escalade de la violence à Beyrouth en 2023, elle confie avoir toujours une caméra à portée de main, comme un prolongement d’elle-même. Photographier devient alors un mécanisme de protection, une distance contemplative qui lui permet de naviguer entre l’émotion et l’analyse, entre l’être et le témoin. Ce geste récurrent, presque compulsif, traduit un rapport viscéral à l’image, où la photographie se fait autant outil de mémoire que de survie psychologique. L’écriture, en parallèle, structure et complète son regard : elle capture les affects, les fragments de pensées, tandis que la photographie donne corps à ces impressions. Le dialogue entre les deux formes révèle une obsession constante pour certains motifs – la vulnérabilité, la mémoire familiale, les gestes du quotidien – et cristallise une démarche où chaque image devient autant un témoignage qu’une mise en récit personnelle. Loin de se placer dans une logique de photojournalisme classique, la photographe refuse le format figé de la légende factuelle. Elle revendique une narration hybride, où les « headlines » viennent contester les récits dominants, offrant une voix singulière qui n’est ni militante au sens traditionnel du terme, ni neutre, mais résolument intime. Son travail s’inscrit dans une quête : documenter une réalité subjective tout en tissant un lien entre l’histoire collective et celle personnelle. Ainsi, chaque cliché devient une page d’un journal visuel ouvert, un espace où se mêlent la fragilité des instants et la force de la résistance.



Réinventer le rapport au réel
Dans le travail de Laura Menassa, Beyrouth n’est pas seulement un décor : elle devient un personnage à part entière, vivant, changeant et habité par une mémoire profonde. Sa ville est photographiée comme une entité fragile, marquée par les cicatrices de son histoire, mais animée d’une vie qui résiste. Elle décrit elle-même Beyrouth comme « une femme blessée dans une relation toxique », une métaphore qui traduit la complexité de son lien intime à la ville : amour, peur, fascination et désarroi se mêlent dans un même regard. Ce rapport se traduit par une approche photographique où se répondent destruction et quotidien, chaos et fête, absence et tendresse.
Les images de Laura Menassa convoquent une mémoire familiale faite d’archives personnelles : des photographies anciennes de sa mère tenant sa main devant des ruines deviennent des échos aux scènes d’aujourd’hui. Ce dialogue intergénérationnel inscrit son œuvre dans une histoire plus large, où la répétition des gestes – comme les barbecues familiaux au cœur de la guerre – devient une forme de résistance silencieuse. Beyrouth, sous son objectif, se métamorphose constamment : elle est ville blessée et vivante, espace politique et intime, théâtre de la mémoire et du présent. L’artiste capte cette tension, ce double mouvement entre permanence et transformation. Son travail interroge alors la photographie comme acte politique : documenter, oui, mais aussi réinventer le rapport au réel. En montrant les instants de vie au milieu de la violence – fêtes, sorties, gestes d’intimité – elle dessine un imaginaire sensible de la ville, où la narration collective se mêle à l’expérience singulière. Ainsi, Beyrouth devient un corps vivant, un personnage incarné, un paysage parfois intangible et purement intérieur. Par son travail, Laura Menassa ne se contente pas de témoigner : elle crée une archive qui interroge notre rapport au temps, à la guerre, et à la continuité de la vie.





