Le ciel sombre, l’esprit s’éveille

12 février 2021   •  
Écrit par Finley Cutts
Le ciel sombre, l'esprit s'éveille

Le photographe italien Giacomo Mancini nous transporte dans les collines mystiques de ses campagnes natales. Obscures et expérimentales, ses études plastiques révèlent la richesse cachée du paysage : une réflexion intime et spirituelle.

« Je suis profondément amoureux de la nature et de la terre sur laquelle je vis, je suis vraiment attaché à mes racines »

, avance Giacomo Mancini, photographe originaire de la région des Marches, à l’est de l’Italie. Sa campagne natale, parsemée de villages perchés et de vallées glaciaires, devient un théâtre à ciel ouvert pour ses mises en scène fantastiques. Avec un grand souci esthétique, l’artiste voit dans les paysages de son enfance un exutoire quasi métaphysique, où les corps de ses modèles – et de lui-même – se fondent dans la nature. « Mes prises de vue sont le résultat de la symbiose de l’homme et du paysage. Ce faisant, il devient capable de le vivre, de le comprendre, de le manipuler et enfin de le représenter. Les sujets font partie du paysage », poursuit-il. Acte intimement performatif, l’instant photographique révèle les liens cachés entre les sujets et la nature qui les entoure.

Chevaux, moutons, vaches… Un esprit animal émane des images de Giacomo Mancini. Par-delà les collines spectaculaires forgées par les éléments, il surgit et donne vie au territoire. « L’observation de ces animaux nous donne un aperçu du sens de la vie », explique-t-il. Cette âme se manifeste dans une intuition poétique, que l’artiste saisit au vol et cultive pour réaliser ses images. « Au départ, il y a une ambiance, un poème, un rêve – petit et vague –, et je sens que je dois le saisir. Je me laisse emporter par les sons et les paysages. Je sais qu’il y a quelque chose de plus grand que moi et je le laisse me transcender. Quand je prends des photos, je ne pense à rien, mon cerveau est à moitié endormi, il rêve », raconte-t-il. En résultent des récits oniriques sur fond de mythologies. Dans le clair-obscur des collines, on reconnaîtrait presque le Mont Olympe où siègent divinités, et autres allégories majestueuses.

© Giacomo Mancini

Illustrer l’ineffable

« La conscience de la fragilité de la vie m’a poussé à chercher dans la photographie, un moyen de me détacher de cette banalité anonyme. C’est trouver une force dans une certaine extension de mon existence »

, avance le photographe. Exercice méditatif et spirituel, le 8e art se métamorphose en une porte vers un univers plus vaste, en osmose avec la nature. Une intention que l’auteur traduit dans le traitement plastique de ses clichés. Dans un élan expérimental et formel, il choisit de noircir les cieux : une façon de troubler le regardeur, et décupler les interprétations. « Je veux qu’il y ait une tension entre la lumière et les espaces sombres. Le ciel noir devient comme le rideau d’un théâtre – la frontière qui nous pousse vers l’inconnu. Quand j’assombris les cieux pour obtenir un noir profond, je cherche à représenter le cosmos et découvrir l’infini ».

Tarkovsky, Caravage, Cesare Pavese, Kafka… Ses influences vont du cinéma à la peinture, de la poésie à la littérature, mais c’est surtout dans les histoires et les traditions de sa terre natale que Giacomo Mancini puise son inspiration. De là, il emprunte figures et symboles qu’il explore pour illustrer l’ineffable. « J’essaie de donner de la lumière à mes visions. Un point précis, mais insaisissable fait de silences, d’espaces vides et de sensations que je ne peux pas décrire avec des mots. Quelque chose de l’ordre de la mémoire et de l’âme – et je crois fermement à l’immortalité des deux », raconte l’artiste. Dans l’immensité des campagnes, les notions de temps, de vide, et d’espace se confrontent au sublime – une beauté immense, mais vertigineuse. « Dans le paysage, la seule constante est le changement. Notre ego se confronte à l’existence, nous le reconnaissons et l’interprétons. Avec le ciel noir, le paysage va au-delà du regard : en fermant les yeux, il dépasse l’espace réel, et se prolonge dans l’espace mental. Le paysage est une extension de nos pensées et de nos rêves ». D’une réflexion proche du bouddhisme, prenant racine dans les terres qu’il chérit, l’artiste extrait une photographie instinctive et naturelle. Ses expérimentations formelles aboutissent en une série d’images intimes, mais universelles – un paradoxe qui reflète sa quête de l’indicible.

© Giacomo Mancini

© Giacomo Mancini

© Giacomo Mancini© Giacomo Mancini

© Giacomo Mancini© Giacomo Mancini© Giacomo Mancini© Giacomo Mancini© Giacomo Mancini© Giacomo Mancini© Giacomo Mancini© Giacomo Mancini

© Giacomo Mancini

Explorez
BMW ART MAKERS : Raphaëlle Peria et Fanny Robin dans les méandres de la mémoire 
« Le reflet de ce qu'il reste », grattage sur photographie, 40 x 60 cm © Raphaëlle Peria / BMW ART MAKERS 2025
BMW ART MAKERS : Raphaëlle Peria et Fanny Robin dans les méandres de la mémoire 
Comme à l’accoutumée, c’est aux Rencontres d’Arles que le projet récompensé par le programme de mécénat BMW ART MAKERS a été dévoilé au...
22 juillet 2025   •  
Écrit par Apolline Coëffet
Catherine Duverger écoute une rivière en lutte
Pastiche publicitaire / La Seiche, surimpression argentique © Catherine Duverger
Catherine Duverger écoute une rivière en lutte
À travers un projet qui mêle enquête de terrain et expérimentation photographique, Catherine Duverger dévoile les couches...
18 juillet 2025   •  
Écrit par Milena III
Que reste-t-il après le feu ? : des images, des voix, des actifs
Totems de mémoire en forêt © Alexandre Dupeyron
Que reste-t-il après le feu ? : des images, des voix, des actifs
À l’écomusée de Marquèze, jusqu’au 28 septembre 2025, l’exposition 600° – La forêt après le feu du collectif LesAssociés, pose une...
19 juin 2025   •  
Écrit par Fabrice Laroche
Hendrik Paul : un besoin de nuit
© Hendrik Paul, Dark Light
Hendrik Paul : un besoin de nuit
Avec Dark Light, Hendrik Paul signe un livre de photographie argentique en noir et blanc, publié chez Datz Press, qui explore la nuit, le...
17 juin 2025   •  
Écrit par Milena III
Nos derniers articles
Voir tous les articles
L'esthétique des luttes en photographie
L'arrestation du féroce chef mafieux Leoluca Bagarella, Parlerme, 1979. © Letizia Battaglia
L’esthétique des luttes en photographie
La photographie est un acte délibéré. Sa fabrication n’est qu’une suite de choix, d’exclusion et d’inclusion, de cadrage, de point de...
24 juillet 2025   •  
Écrit par Fisheye Magazine
Photographier les récits occultes avec Joan Alvado : Os batismos da meia-noite (1/3)
Os batismos da meia-noite © Joan Alvado
Photographier les récits occultes avec Joan Alvado : Os batismos da meia-noite (1/3)
Le photographe espagnol Joan Alvado compose des essais photographiques où l’étrange, le mythe et la légende s’entremêlent. S’inspirant...
23 juillet 2025   •  
Écrit par Marie Baranger
Zooms 2025 : pourquoi Fisheye soutient Lola Cacciarella au Salon de la photo
Bleu Comme Une Orange © Lola Cacciarella
Zooms 2025 : pourquoi Fisheye soutient Lola Cacciarella au Salon de la photo
Depuis quatorze ans, les Zooms du Salon de la photo mettent en lumière la création photographique. Cette année, Fisheye soutient le...
23 juillet 2025   •  
Écrit par Fabrice Laroche
Les commencements de Claudia Andujar : le regard comme lien
© Claudia Andujar. De la série A Sõnia, São Paulo, SP, vers 1971. Avec l’aimable autorisation de l’artiste / Instituto Moreira Salles
Les commencements de Claudia Andujar : le regard comme lien
Présentée à la Maison des Peintres dans le cadre des Rencontres d’Arles jusqu’au 5 octobre 2025, À la place des autres revient sur...
23 juillet 2025   •  
Écrit par Milena III