Peu d’artistes se sont inspirés de cette terre située au nord des États-Unis et à la frontière du Canada. Parmi ceux-là, Howard Frank Mosher. Dans ses romans, l’écrivain américain nous immerge dans un monde rural et grinçant, comme figé dans le temps, qu’il décrit « coupé du reste de la Nouvelle-Angleterre par les montagnes Vertes à l’ouest et les montagnes Blanches à l’est, et encore plus isolé par ses célèbres hivers, longs de sept mois, et ses mauvais chemins de terre ».
Comment un photographe français, habitué des portraits de 4e de couverture de Libération, s’est-il retrouvé à arpenter les routes de ce royaume du nord-est des États-Unis ? Il y a vingt ans, Stéphane Lavoué séjourna dans une famille qui habitait Boston. À la retraite, le couple s’installa dans le Vermont et le photographe leur rendit visite. Il découvrit alors le Royaume. « Je partis à la rencontre des sentinelles et sujets du Royaume. J’y ai croisé la désolation de ces maisons éventrées, comme soufflées par le temps, abandonnées par leurs propriétaires, victimes du déclin industriel, raconte Stéphane. J’y ai croisé de jeunes fermiers utopistes venus expérimenter une vie alternative décroissante, refusant la mécanisation, chuchotant aux oreilles des bœufs et des chevaux une langue inconnue. »
La liberté du récit
Le parcours de Stéphane est atypique. Diplômé de l’École supérieure du bois de Nantes en 1998, il est parti vivre deux ans en Amazonie brésilienne, chargé des achats de bois pour un groupe industriel français. De retour en France en 2001, inspiré notamment par Sebastião Salgado, il a choisi le métier de photographe et est devenu un portraitiste réputé, dont la lumière se reconnaît au premier coup d’œil. Après plusieurs années à photographier artistes, hommes politiques, acteurs, sportifs ou intellectuels, il a désiré s’évader du travail de commande pour accéder à un univers plus personnel.
Le Royaume lui a offert cette opportunité. Il y eut la rencontre avec un chasseur d’ours à l’arc qui comprit sa démarche de photographe et l’introduisit dans la communauté. Sa fille, Josy, posa pour Stéphane au milieu des carcasses de viande. Elle est une des princesses du lieu, et sa beauté illumine la scène. Les portes du Royaume se sont ouvertes, le photographe a pu circuler de ferme en ferme pour photographier cette histoire américaine un brin déglinguée. Un conte photographique où toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé est loin d’être fortuite.