Johann Bertelli et Fiona Segadães Da Silva, nos coups de cœur #427, s’amusent des frontières du réel et du récit fictionnel. L’un fait le portrait de sa grand-mère avec une tendre justesse et l’autre observe jusqu’à capturer l’instant rêvé.
Johann Bertelli
Architecte diplômé depuis 2007, Johann Bertelli se sert de ses études pour explorer le cinéma et la photographie. Entre fiction et réalité, le photographe français est particulièrement attiré par les mouvements organiques qui émanent de certains corps. « Au-delà d’une inspiration qui peut me venir d’une rencontre, de l’actualité ou d’une œuvre, c’est souvent la lumière qui est un déclencheur. Une lumière surprenante, aussi concrète que mystérieuse. », explique-t-il. Dans Things She keeps in the smoke (Les choses qu’elle garde dans la fumée), le photographe retrace, avec tendresse, des instants de vie de sa grand-mère. « Je l’observais entrain de fumer une cigarette assise dans le salon. La lumière du soleil filtrait à travers la vitre sur son visage et les volutes de fumée. L’étincelle avait eu lieu », se remémore l’artiste, avec émotion. Depuis cet instant où la magie du quotidien a opéré, Johann capture sa grand-mère et son environnement, mais surtout, le rapport particulier qu’elle entretient avec la cigarette. Il raconte : « Il y a une forme de cérémonial dans sa façon d’aller fumer. C’est autant un moyen pour elle de s’évader seule, de prendre un plaisir personnel ancré dans le présent, qu’une plongée méditative dans les souvenirs d’une longue vie. » La cigarette apparait, au fur et à mesure, comme le révélateur de choses plus profondes : la perte de son époux avec qui elle est restée de ses 17 à 83 ans et le deuil qui en dépend. Petit à petit, la grand-mère du photographe s’est prêtée au jeu en lui ouvrant un peu plus son intimité. Véritable moment d’occupation et d’invention pour « elle qui est à la retraite depuis si longtemps », cette série résonne tel un récit universel. Un témoignage touchant d’un petit-fils aimant à une grand-mère désorientée par la disparition de son grand amour.
© Johann Bertelli
Fiona Segadães Da Silva
Photographe et éditrice indépendante, Fiona Segadães Da Silva aime jouer avec les images, le silence, l’heure bleue et tout autant qu’elle apprécie grimper les montagnes. Installée au Havre, cette amoureuse des choses douces de la vie commence à utiliser des appareils photo jetables dès sa plus tendre enfance. « Je préfère les images aux paroles, les gestes et les corps en mouvement révèlent davantage d’indices que les discours. Je me plais à remarquer des détails infimes, des attitudes, des coïncidences », relate l’artiste. S’inspirant des travaux de Nolwenn Brod, Bénédicte Blondeau ou encore SMITH, ses clichés, tant numériques qu’analogiques, explorent les notions identitaires, sociétales et infrapolitiques. Oscillant entre le documentaire et la fiction, Fiona Segadães Da Silva compose des images énigmatiques et narratives, parfois spéculatives. Elle explique que ses « recherches s’intéressent en particulier à nos manières d’habiter les corps et les espaces, à la santé mentale, à l’exil et à la transmission intrafamiliale ». Jeune diplômée des beaux-arts, Fiona concentre sa pratique sur le déplacement, l’observation, jusqu’à l’absorption : « Pour construire des images, j’ai besoin d’être prise dans l’espace, que mon corps soit connecté à ce qui m’entoure, tout comme une sculptrice qui aurait besoin de toucher la matière pour la travailler ». Son univers tant mystérieux que transparent, captive par sa profondeur vertigineuse.
© Fiona Segadães Da Silva
Image d’ouverture : © Fiona Segadães Da Silva