Les dessous de l’agence Stock Photo : un récit visuel du Québec

Les dessous de l'agence Stock Photo : un récit visuel du Québec
Deux jeunes Inuit pratique le chant de gorge devant leurs camarades. Campement d'Okpiapik. Nunavik, 1999 © Jean-François LeBlanc
© Josué Bertolino

Dans le livre Agence Stock Photo, Une histoire du photojournalisme au Québec, la photographe Sophie Bertrand et la directrice artistique Jocelyne Fournel s’intéressent à l’agence Stock Photo et retracent ainsi trente ans de photojournalisme québécois. Plus qu’un ouvrage sur un collectif de photographes, il met en exergue les grands événements sociétaux et culturels de cette province francophone du Canada.

En 1987, Robert Fréchette, Jean-François Leblanc et Martin Roy fondent l’agence Stock Photo, prenant comme inspiration les grandes agences de presse telles que l’AFP ou Reuters. « “Stock Photo” (banque d’images), comment ne pas entendre dans le nom que se donne cette agence une allusion aux transformations économiques et structurelles qui marqueront bientôt le secteur du photojournalisme ? », note Vincent Lavoie, historien de la photographie, dans Agence Stock Photo, Une histoire du photojournalisme au Québec (les éditions du passage, 2024), un livre pensé par Sophie Bertrand et Jocelyne Fournel. Si la première décide un jour de se lancer dans l’édition d’un ouvrage sur Stock, ce n’est pas sans raison. « Je les ai rejoints en 2016, après avoir fait la connaissance de quelques membres du collectif dans un bureau conjoint, raconte-t-elle, alors photographe. On se partageait nos expériences, mais aussi des contrats, c’était un truc assez convivial. » En 2017, Stock s’éteint, manque de relève, peut-être à cause de la montée de l’individualisme. « Il y a eu beaucoup de mouvance dans cette agence, précise Sophie Bertrand. Au total, quatorze artistes la rejoignent sur trente ans. » Oscar Aguirre, Benoit Aquin, Josué Bertolino, Normand Blouin, Robert Fréchette, Laurent Guérin, Caroline Hayeur, Jean-François Leblanc, Michel Legault, Horacio Paone, Martin Roy, Jean-Eudes Schurr, Marie-Hélène Tremblay et Sophie Bertrand elle-même vont dessiner les contours de la photographie québécoise. Tout·es uni·es derrière une démarche sociale, mais fidèles à leurs écritures personnelles et temporelles, iels ont contribué à la couverture de grands événements majeurs autant au Canada qu’à l’étranger. Agence Stock Photo, Une histoire du photojournalisme au Québec se consacre aux images des membres du collectif prises au Québec. « Nous avons fait le choix de nous concentrer sur le Québec, car c’est une province complexe, riche en cultures. C’est une terre des Premières Nations, un berceau multiculturel de modernité et de traditions ancestrales », poursuit-elle. Ainsi tire-t-elle la révérence d’un pan de l’histoire, trente ans de clichés poignants, et le confine dans un écrin « patrimonial » – comme elle l’aime à l’appeler – fait de papiers reliés.

Des émeutiers saccagent les véhicules des médias stationnés devant le Forum de Montréal, rue Sainte-Catherine. Montréal, 1993.
Des émeutiers saccagent les véhicules des médias stationnés devant le Forum de Montréal, rue Sainte-Catherine. Montréal, 1993. © Jean-François LeBlanc
Deux jeunes gens dansent lors d'une rave à Montréal en 1997
Portraits de la scène rave (série Rituel festif, Montréal, 1997) © Caroline Hayeur

En héritage

À travers les pages du livre, les grands moments de l’histoire québécoise des années 1990 à nos jours sont ponctués de portfolios d’images de rue ou du quotidien, de textes et d’entretiens. « Ce projet, c’était pour parler d’une histoire de la photographie et du photojournalisme par le prisme de Stock, mais surtout une manière de mettre en avant les événements sociopolitiques que ses membres ont documentés », réfléchit Sophie Bertrand. Objet du patrimoine, recueil de mémoire collective, il propose notamment un dialogue multiregards sur la crise d’Oka. Face aux ambitions immobilières de promoteurs souhaitant construire sur la municipalité voisine d’Oka, empiétant sur un territoire boisé qu’ils revendiquaient depuis des décennies, les membres du conseil mohawk de Kanehsatàke ont établi en 1990 une véritable zone à défendre. Cette forêt de grands pins revêt une importance spirituelle et historique considérable, abritant un cimetière ancestral et des sépultures traditionnelles. « Robert Fréchette, Benoit Aquin et Horacio Paon vont passer près de trois mois à couvrir tous les aspects de ce litige. Dans leur corpus, on découvre un vrai travail d’investigation qui va au-delà de confrontation entre l’armée et les mohawks », raconte Sophie Bertrand.

Le voyage temporel se poursuit. On entame une plongée au moment du référendum sur la souveraineté de la Province en 1995, ou plus récemment dans les Printemps Érables en 2011, où la population se révolte contre l’augmentation massive des frais de scolarité. Un chapitre dédié au monde de la nuit à Montréal nous propulse dans les cabarets, les shows de drag queen et les rave party qui ont façonné la réputation nocturne et joyeuse de la ville aujourd’hui. Animée par ce parcours historique, Sophie Bertrand aspire à un geste pour les habitant·es du Québec : « L’idée était de donner une ressource aux générations locales, d’abord à celles qui n’ont pas connu ces moments, mais aussi à celles qui les ont traversés, afin qu’elles puissent les revisiter à travers les photographies de Stock », confie l’autrice, qui espère également éveiller le monde à l’histoire de sa région tant aimée, le Québec.

Un Warrior observe des soldats de l'armée canadienne venant de pénétrer dans la pinède de Kanehsata·ke
Un Warrior observe des soldats de l’armée canadienne venant de pénétrer dans la pinède de Kanehsatake © Robert Fréchette
Des manifestants de Châteauguay brûlent une effigie mohawk pour protester contre la fermeture du pont Honoré-Mercier. Kahnawà:ke
Des manifestants de Châteauguay brûlent une effigie mohawk pour protester contre la fermeture du pont Honoré-Mercier. Kahnawàke © Horacio Paone
Des silhouettes dans une rues la nuit où ont lieu des manifestations
© Benoit Aquin
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