Fisheye Magazine : Comment est née la série I don’t want to disappear completely, que tu présentes à Circulation(s) ?
Bérangère Fromont : J’avais déjà travaillé sur l’adolescence, avec une première série baptisée Cosmos (publiée aux éditions André Frère, ndlr). Et c’est devenu un projet que je souhaite aujourd’hui développé en plusieurs chapitres. Les images présentées à Circulation(s) sont extraites d’un nouveau volet, réalisé en Lettonie. J’aimerais ensuite poursuive jusqu’au Sénégal et à Singapour
Quand et comment as-tu rencontré les adolescents que tu as photographiés pour ce second chapitre ?
C’était il y a deux. Quand je suis arrivée dans ce petit village letton entouré de forêts, c’était un peu étrange parce qu’il n’y avait pas du tout d’adolescents ni d’enfants. Beaucoup de personnes âgées, de gens au chômage, de marginaux… C’était assez triste. J’étais venue avec l’espoir de rencontrer des adolescents, et je n’en trouvais pas. J’avais l’impression de chercher des fantômes. Au bout de trois jours, je tombe par hasard sur une bande de jeunes et l’une d’entre eux parlait très bien anglais. J’ai eu beaucoup de chance ! Je vais y retourner cet été, car il me manque des choses. Depuis on est toujours en contact. La jeune fille qui a été mon interlocutrice m’envoie régulièrement des nouvelles.
Combien de temps as-tu passé auprès d’eux ?
Le temps de prise de vue était très court. Au total, nous avons fait trois séances de deux heures, uniquement de nuit, car je voulais vraiment les photographier dans cette obscurité – en trois jours, j’avais eu le temps de réfléchir à ce que voulais faire et comment j’allais le faire. Ce n’était pas facile. Car la nuit, en plein été, ça commence à 23 heures en Lettonie. Donc c’était un peu compliqué de rassembler ces jeunes à cette heure là.
Pourquoi était-ce nécessaire de travailler la nuit ?
J’évoquais cette notion d’adolescents fantomatiques tout à l’heure. L’obscurité me permettait justement de retranscrire visuellement cette impression. Le flash introduit un contraste intéressant entre les corps et le décor, très austère. Si j’avais photographié de jour, je pense aussi que je n’aurais pas pu invoquer cet univers très particulier, un peu clos, qui donne une cohérence à l’ensemble. Oui, c’était vraiment un autre monde.
Cosmos, c’est aussi une série que tu as shooté de nuit. Ces deux séries se font-elles écho ?
Pas vraiment… Enfin, le système de travail est le même. La nuit, au flash, avec des adolescents, dans un instant court (trois heures pour Cosmos). C’est ce côté performance qui fait se rejoindre ces deux séries. Mes images sont toutes des allégories en quelque sorte. En Lettonie, j’ai cherché à montrer la fin de l’enfance. Avec Cosmos, j’évoque surtout ma vision du monde, qui est assez chaotique.
Comment procèdes-tu avec tes sujets ?
Quand je travaille avec les ados on fait les choses ensemble. Je leur propose de m’aider, et ça les amuse beaucoup. En fait, ce sont eux qui me donnent les images. C’est amusant d’ailleurs, car la première chose dont m’a parlé la jeune fille qui était mon interlocutrice, c’était de fantômes. Pendant trois jours j’avais le sentiment de courir après eux et voilà que cette adolescente ne me parlait que de ça, en affirmant qu’elle n’avait peur de rien. Elle avait plein d’histoires à raconter et j’ai vu là quelque chose à exploiter. Du coup elle m’a emmené dans des lieux réputés hantés, des vieilles maisons, et caetera… J’ai noté d’ailleurs tous ces récits et je les garde précieusement – peut-être pour clôturer le projet.
Pourquoi l’adolescence ?
Il y a de nombreuses raisons ! Déjà, j’aime bien travailler avec les ados. Il y a aussi le fait que ces jeunes aiment être pris en photo, qu’ils en jouent facilement. Et dans mon rapport à la photo, c’est crucial qu’il y ait cet échange. Surtout, pour moi, l’adolescence c’est plus qu’un âge, c’est vraiment une attitude de vie. Je revendique l’idée qu’il faut rester tout le temps adolescent ! C’est-à-dire être tout le temps en révolte, ne pas renoncer à ses convictions, ne pas faire de compromis, vivre tout intensément. C’est ça qui est assez beau d’ailleurs : cette forme de naïveté un peu violentée.
Qu’est-ce que cette série en particulier montre de cet âge là?
Et bien par exemple, cette photo là. Je ne l’avais pas gardée dans mon premier editing. Elle est très emblématique ce travail. Le garçon à gauche, c’est le plus jeune. Elle, au milieu, doit avoir 13 ans et le jeune homme à droite a 16 ans. Le plus jeune est complètement insouciant, dans le jeu. Elle, elle est pas encore complètement sortie de cette naïveté. Ça se voit dans la position de son corps, encore très enfantin, et dans son regard, pourtant très direct. Quand au plus grand, il est complètement dans la représentation. Il me fixe, me montre qu’il est fort. Leur attitude à chacun est très symbolique de ce passage.
Comment se déroulaient les séances justement ?
C’était vraiment une sorte de jeu. Je les suivais, les laissais m’emmener où ils voulaient. Ils s’ennuient beaucoup ces jeunes. Et tout à coup, quelqu’un s’intéresse à eux donc ils sont hyper contents – c’est tout le propos du titre, « I don’t want to disappear completely ». Ces jeunes veulent exister. La confiance s’est instaurée très vite et très facilement.
Qu’est-ce que ces rencontres t’apportent, en tant que photographe ?
J’aime vraiment l’idée que ça leur fasse plaisir, de sentir cet échange là. Je prends tout ce qu’on me donne, donc ça me donne tout, ça m’apprend tout. Si ces jeunes n’étaient pas ce qu’ils sont, je n’aurais pas ces images.
Est-ce que tu es nostalgique de ton adolescence ?
Oui ! Enfin… Oui et non. C’est chiant aussi comme période (rires). Ce n’est pas tant de la nostalgie; on me reproche souvent de ne pas avoir tellement grandie. Je pense que je suis restée, un peu, une adolescente.
En (sa)voir plus
Découvrez l’intégralité du travail de Bérangère Fromont sur son site : www.berangerefromont.com
Son livre, Cosmos, est disponible en édition limitée sur le site des éditions André Frère : www.andrefrereditions.com
I want to disappear completely est exposée jusqu’au 5 mars, au festival Circulation(s) : www.festival-circulations.com