Dans son nouvel ouvrage Les loyautés, la photographe Lise Dua se plonge dans l’étude des gestes qui perdurent génération après génération. Un langage corporel inconscient devenu partie intégrante de notre héritage.
Dans Je n’écris plus pour moi seule, Lise Dua faisait s’entrechoquer deux écritures poétiques : celle de son père et la sienne. Au carrefour du récit familial et de l’exploration fantastique de notre histoire, elle donnait à voir les récurrences amusantes, les résonances touchantes des images que l’on fige pour qu’elles ne soient jamais oubliées. À travers Les loyautés – un ouvrage petit format convoquant irrésistiblement l’identité de l’album de famille – la photographe française pousse sa recherche encore plus loin. « Celle-ci a débuté en 2019, et fait suite à la série précédente. J’avais commencé à inventorier des gestes, à les classer et à les mettre en perspective avec d’autres mouvements. Cette exploration s’est poursuivie dans ce nouveau projet, sauf qu’ici, le tirage n’existe plus en tant que document – j’entre dans la matière même de l’image en recadrant un fragment pour lui donner un autre sens », explique-t-elle.
Dans les images de l’ouvrage, les visages se font presque absents au profit des postures, des corps qui se rapprochent dans des étreintes découpées, des bras croisés, des mains nouées… Comme des fragments de réunions qui, en perdant leur contextualisation, deviennent universels. Une collection d’instants rangés dans un écrin que l’autrice voulait précieux. « La couverture a été imprimée en sérigraphie avec un papier rouge et une encre dorée. L’image choisie pour la couverture est différente du reste : c’est une image d’ensemble, un cliché réalisé lors d’une fête. On y ressent une certaine euphorie, les personnes au premier rang discutent entre elles, on en oublie le photographe. J’aime beaucoup son ambiance, le fait que toutes les générations soient représentées et que le regard circule de l’une à l’autre », raconte Lise Dua. En ouvrant le carnet relié par une spirale débute ensuite sa narration : une immersion atemporelle dans les échos d’une patrie.
Les mouvements qui forment les fratries
Car pour composer Les loyautés, Lise Dua n’a pas réalisé de nouvelles photos. Les images présentes sur les pages proviennent d’archives : celles de ses proches, mais aussi d’autres venues de vide-greniers, appartenant à des inconnu·es. Une fois cette mosaïque collectée, l’artiste a passé du temps à découvrir, à s’imprégner des différentes représentations, pour parvenir à en sortir des détails, des fibres de compréhension, d’amour ou de tension qui composent le langage d’un clan. « J’ai toujours été fascinée par la ressemblance au sein d’une famille – qu’il s’agisse de similarités physiques ou gestuelles. Le corps est le lieu où l’on s’exprime. Par une manière de se tenir, de se déplacer, ou d’entrer en contact avec l’autre, on peut en apprendre beaucoup sur quelqu’un. Il cristallise notre vécu, nos traumatismes et nos désirs. J’ai envisagé ce livre comme une danse : il y a un certain rythme dans l’association et la mise en page, comme s’il fallait retranscrire la vie », confie Lise Dua.
Inspirée par Aïe mes aïeux d’Anne Ancelin-Schützenberger – « un livre fondamental dans l’approche du transgénérationnel » – et par Ces photos qui nous parlent de Christine Ulivucci, « qui interroge l’inconscient au sein de la photographie de famille, et les secrets qu’elles peuvent abriter », la photographe fait de son projet une étude des mouvements qui forment les fratries. Des tensions que l’on devine dans l’éloignement de deux genoux aux lèvres souriantes qui s’approchent d’une oreille dans une confidence privilégiée, des épaules tendues aux doigts qui s’entrelacent, chaque zoom, chaque découpage du corps devient prétexte à interroger notre histoire, et ses répercussions sur notre propre tenue. Quelles postures avons-nous héritées de nos parents ? La colère, l’exaltation se lient-elles de la même manière sur notre silhouette au fil des générations ? En révélant la tendresse et la tension qui jaillissent de ces échanges inconscients, Lise Dua met en lumière des bribes de patrimoine que l’on se plaît souvent à ignorer, et nous invite à reconsidérer l’impact de nos interactions – à déceler le long de nos silhouettes.
Lise Dua sera présente pour célébrer la sortie de son livre et le signer mercredi 12 octobre à partir de 18h30 à la petite galerie Françoise Besson, 6 rue de Vauzelles à Lyon.
Les Loyautés, auto-édité, 22 €, 44 pages. Pour le commander, il vous faudra envoyer un email à l’adresse : lisedua@gmail.com.
© Lise Dua